Le dijhad médiatique | Après Société Post-Attentats
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Le dijhad médiatique

Depuis 2014, Daech a envahi l’espace médiatique. Des vidéos choquantes aux images angéliques, ils reprennent les codes de la pop culture. Les codes des plus grosses productions hollywoodiennes. Analyse d’une stratégie médiatique qui a propulsé Daech sur le devant de la scène.

Au milieu des années 2000, les dirigeants d’Al-Qaïda voient le djihad médiatique comme la moitié du combat. C’est sur ce postulat que Daech va penser toute sa stratégie. En quelques mois seulement, ce groupe, alors inconnu, a réussi à s’imposer médiatiquement. De Twitter à Youtube, en passant par leurs propres médias, l’État islamique a réussi à professionnaliser sa propagande. Ils ont, en tête, un double objectif : semer la terreur et recruter. Ils ciblent notamment la génération internet, les jeunes nés après 1995, en utilisant des codes qui leur parlent. Des vidéos d’égorgement font, par exemple, référence à une scène du film « Seven » de David Fincher. 

 

Cependant, Daech n’a rien inventé. Il a développé une stratégie de communication, qui se veut plus réfléchie, professionnelle et réalisée sur mesure pour les nouveaux médias, via, notamment, des messages simplifiés et plus percutants.

Là où tout commence

Historiquement, la propagande djihadiste n’est pas née sur les réseaux sociaux. Sous l’impulsion de Abdallah Azzam, imam du djihad moderne, « Le bureau des services » (Maktab al-Khadamāt) voit le jour au Pakistan, en 1984. Pendant la guerre soviéto-afghane, cette structure devait permettre de recruter des volontaires musulmans. Quelques années plus tard, durant la guerre de Bosnie, les équipes de tournage sont créées. Elles glorifient la lutte des djihadistes. L’arrivée d’internet, en 1996, permet d’élargir les moyens de propagande, en créant des forums de discussions par exemple.

La propagande de l’Etat islamique a commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter.
/ Pieter Van Ostaeyen

A cette époque, le paysage médiatique aussi évolue et la chaîne  « Al Jazeera» apparaît, une chaîne de télévision qatari. Elle s’impose comme première chaîne d’information arabophone. Elle accepte notamment de re-transmettre les déclarations de Ben Laden.

 

En 2001, Al Qaïda frappe fort. Les images des tours jumelles font la Une de tous les journaux. Le groupe djihadiste devient “une marque de terreur”. L’année suivante, le journaliste Daniel Pearl est décapité. Une décapitation inédite puisqu’elle est filmée et diffusée sur internet. Finalement, en 2010, Anwar Al Awlaki, surnommé le Ben Laden du web, appelle les djihadistes à se saisir des réseaux sociaux.

 

Justement, la propagande de l’Etat islamique a, elle, bien commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter. Les comptes de combattants pullulaient sur la plateforme. Pieter van Ostaeyen a analysé longuement la stratégie médiatique de Daech. « Ils appellent Twitter, la province Twitter. A chaque fois qu’on supprime un compte, ils en recréent un dans la minute. J’ai déjà vu quelqu’un se faire supprimer de la plateforme 3 fois sur la même journée. La seule façon de sortir Daech de Twitter, c’est de supprimer Twitter ». Aujourd’hui, Twitter est beaucoup plus attentif et aurait déjà supprimé plus d’un million de comptes comprenant des contenus djihadistes.

Daech: une machine à propagande

En 2014, le premier jour du ramadan, le groupe djihadiste annonce l’établissement d’un califat sur les territoires contrôlés. La “province” est ainsi soumise à l’autorité d’un calife : l’émir Abou Bakr al-Baghadi. Cinq mois plus tard, le mini-film « N’en déplaise aux mécréants » est diffusé. Il marque un tournant pour les propagandes djihadistes. Des membres des forces spéciales de Daech vont égorger des soldats du régime. Pieter Van Ostayen, expert des réseaux djihadistes, a analysé cette vidéo. « Ce film a été extrêmement bien réalisé. Le tournage a duré au moins 8 heures. On voit que ces types savent exploiter la lumière, qu’ils ont du matériel et que le montage aussi est professionnel. On dirait un peu de la télé-réalité». Plusieurs de ces images renvoient, en effet, vers une émission grand public : Koh Lanta. Des aventuriers en ligne, au milieu d’un décor désertique. Et des exemples comme cela, il y en a plein. Les djihadistes vont reproduire des images de films de guerre ou de jeux vidéo. A un détail près, ici elles sont vraies.

La vidéo « Message aux enfants des juifs », par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard.

Pour réaliser ces films chocs, de véritables équipes de tournage sont mobilisées. En 2016, un ancien caméraman du groupe djihadiste a accepté  de témoigner dans le documentaire « Le studio de la terreur », d’Alexis Marant : « Quand tu rentres dans leur bureau, tu as l’impression de pénétrer dans les studios d’une grande production internationale. C’est un centre énorme avec un studio d’enregistrement, un studio de radio et un studio de tournage. Il y avait là l’élite des médias ». Une professionnalisation qui n’est pas uniquement technique puisqu’en terme de diffusion aussi, Daech a pû construire des canaux de production et d’émission à travers le monde. Plusieurs entreprises constituent le socle de la communication de l’État islamique. Ces labels produisent et diffusent des vidéos à travers le monde dans une quinzaine de langues.

 

La première entreprise, « Al-furqan Media », s’occupe en priorité des communiqués, messages ou réactions du califat. C’est la voix officielle du groupe. « Al-Hayat » et « Al Itissam » gèrent la propagande à destination de l’Occident. C’est de là que proviennent les vidéos qui sement la terreur. Mais, à côté de ces mises en scène de décapitation ou d’immolation, d’autres images sont produites. Elles visent, notamment, à recruter de nouveaux membres, en dé-diabolisant Daech. Comme l’explique Emmanuel Hamelin, auteur du livre “Terrorisme et médias, des liaisons dangereuses?” : « ce sont des vidéos qui donnent une impression de normalité avec des scènes de la vie quotidienne presque occidentales, des images qui veulent donner du sens à ceux qui sont en quête d’identité et une réponse à ceux qui sont en quête d’aventure ». Le message est clair : les musulmans du monde entier sont les bienvenus. Ce contenu donne un visage au groupe djihadiste. Pour humaniser un peu plus Daech, ils ont souvent recours au symbole même de l’humanité : l’enfant. A l’école ou en famille, ils semblent toujours heureux et épanouis. Les djihadistes prennent soin de leur progéniture.

Les enfants sont devenus une pièce majeure de la propagande djihadiste.
/ Wassim Nasr

A partir de 2015, les jeunes permettent de faire passer un tout autre message. « Ils sont devenus une pièce majeure de la propagande de l’Etat islamique. Daech veut montrer qu’ils forment et préparent la relève et qu’ils prennent en charge les enfants », explique le journaliste Wassim Nasr. Il ne s’agit plus de diffuser un visage insouciant mais bien de les transformer en bourreaux. La vidéo « Message aux enfants des juifs », par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard. Six enfants doivent débusquer des espions cachés dans une forteresse pour ensuite les tuer.

Perte de vitesse

Avant la proclamation du califat, les dépenses médiatiques de Daech tournent autour de 100 000 dollars par mois. Quelques mois après cette déclaration, les vidéos de propagande se multiplient. Rien que sur le mois du ramadan en 2015, 1 146 contenus sont relayés. Il est arrivé que le budget atteigne 2,5 milliards de dollars par an, rien que pour le studio situé à Raqqa.

 

700 publications mensuelles pour Daech

Cependant, cette stratégie est en recul depuis 2016 et la mort de Wa’il al-Fayad, tué dans le bombardement de Raqqa. C’était l’homme fort de la communication de Daech. Selon un rapport réalisé par des chercheurs de l’académie militaire de West Point, “le nombre de communications mensuelles diffusées par Daech est passé de 700 publications, à l’été 2015, à moins de 200 un an plus tard. Les résultats en terme de recrutement de combattants étrangers sont en chute libre, passant de 2000 par mois à 200.” François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’IRIS, pointe deux raisons à cette chute de production :

 

– Un affaiblissement des capacités techniques de diffusion. « Quand on n’a plus de capitale ni de territoire et que l’on est sous les bombes, il est très difficile de faire des productions hollywoodiennes. »

– Le travail effectué par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) puisqu’il « est désormais beaucoup plus compliqué, en tant que non-initié, de trouver en ligne de la propagande djihadiste. »


Évidemment, la perte de vitesse de la propagande de Daech doit être mise en lien avec les différentes défaites militaires que connaît le groupe djihadiste. Selon plusieurs chercheurs, le groupe ne meurt pas mais se terre pour opérer plus clandestinement. Brandon Wallace et Jennifer Cafarella expliquent dans le rapport « La Seconde Résurgence de Daesh » que « Daesh a déjà restructuré ses opérations pour redevenir une insurrection régionale.” La machine médiatique serait-elle en quête d’un nouveau souffle ? sur le point de renaître ?

Le dijhad médiatique

Depuis 2014, Daech a envahi l’espace médiatique. Des vidéos choquantes aux images angéliques, ils reprennent les codes de la pop culture. Les codes des plus grosses productions hollywoodiennes. Analyse d’une stratégie médiatique qui a propulsé Daech sur le devant de la scène.

Au milieu des années 2000, les dirigeants d’Al-Qaïda voient le djihad médiatique comme la moitié du combat. C’est sur ce postulat que Daech va penser toute sa stratégie. En quelques mois seulement, ce groupe, alors inconnu, a réussi à s’imposer médiatiquement. De Twitter à Youtube, en passant par leurs propres médias, l’État islamique a réussi à professionnaliser sa propagande. Ils ont, en tête, un double objectif : semer la terreur et recruter. Ils ciblent notamment la génération internet, les jeunes nés après 1995, en utilisant des codes qui leur parlent. Des vidéos d’égorgement font, par exemple, référence à une scène du film « Seven » de David Fincher. 

 

Cependant, Daech n’a rien inventé. Il a développé une stratégie de communication, qui se veut plus réfléchie, professionnelle et réalisée sur mesure pour les nouveaux médias, via, notamment, des messages simplifiés et plus percutants.

Là où tout commence

Historiquement, la propagande djihadiste n’est pas née sur les réseaux sociaux. Sous l’impulsion de Abdallah Azzam, imam du djihad moderne, « Le bureau des services » (Maktab al-Khadamāt) voit le jour au Pakistan, en 1984. Pendant la guerre soviéto-afghane, cette structure devait permettre de recruter des volontaires musulmans. Quelques années plus tard, durant la guerre de Bosnie, les équipes de tournage sont créées. Elles glorifient la lutte des djihadistes. L’arrivée d’internet, en 1996, permet d’élargir les moyens de propagande, en créant des forums de discussions par exemple.

La propagande de l’Etat islamique a commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter.
/ Pieter Van Ostaeyen

A cette époque, le paysage médiatique aussi évolue et la chaîne  « Al Jazeera» apparaît, une chaîne de télévision qatari. Elle s’impose comme première chaîne d’information arabophone. Elle accepte notamment de re-transmettre les déclarations de Ben Laden.

 

En 2001, Al Qaïda frappe fort. Les images des tours jumelles font la Une de tous les journaux. Le groupe djihadiste devient “une marque de terreur”. L’année suivante, le journaliste Daniel Pearl est décapité. Une décapitation inédite puisqu’elle est filmée et diffusée sur internet. Finalement, en 2010, Anwar Al Awlaki, surnommé le Ben Laden du web, appelle les djihadistes à se saisir des réseaux sociaux.

 

Justement, la propagande de l’Etat islamique a, elle, bien commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter. Les comptes de combattants pullulaient sur la plateforme. Pieter van Ostaeyen a analysé longuement la stratégie médiatique de Daech. « Ils appellent Twitter, la province Twitter. A chaque fois qu’on supprime un compte, ils en recréent un dans la minute. J’ai déjà vu quelqu’un se faire supprimer de la plateforme 3 fois sur la même journée. La seule façon de sortir Daech de Twitter, c’est de supprimer Twitter ». Aujourd’hui, Twitter est beaucoup plus attentif et aurait déjà supprimé plus d’un million de comptes comprenant des contenus djihadistes.

Daech: une machine à propagande

En 2014, le premier jour du ramadan, le groupe djihadiste annonce l’établissement d’un califat sur les territoires contrôlés. La “province” est ainsi soumise à l’autorité d’un calife : l’émir Abou Bakr al-Baghadi. Cinq mois plus tard, le mini-film « N’en déplaise aux mécréants » est diffusé. Il marque un tournant pour les propagandes djihadistes. Des membres des forces spéciales de Daech vont égorger des soldats du régime. Pieter Van Ostayen, expert des réseaux djihadistes, a analysé cette vidéo. « Ce film a été extrêmement bien réalisé. Le tournage a duré au moins 8 heures. On voit que ces types savent exploiter la lumière, qu’ils ont du matériel et que le montage aussi est professionnel. On dirait un peu de la télé-réalité». Plusieurs de ces images renvoient, en effet, vers une émission grand public : Koh Lanta. Des aventuriers en ligne, au milieu d’un décor désertique. Et des exemples comme cela, il y en a plein. Les djihadistes vont reproduire des images de films de guerre ou de jeux vidéo. A un détail près, ici elles sont vraies.

La vidéo « Message aux enfants des juifs», par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard.

Pour réaliser ces films chocs, de véritables équipes de tournage sont mobilisées. En 2016, un ancien caméraman du groupe djihadiste a accepté  de témoigner dans le documentaire « Le studio de la terreur », d’Alexis Marant : « Quand tu rentres dans leur bureau, tu as l’impression de pénétrer dans les studios d’une grande production internationale. C’est un centre énorme avec un studio d’enregistrement, un studio de radio et un studio de tournage. Il y avait là l’élite des médias ». Une professionnalisation qui n’est pas uniquement technique puisqu’en terme de diffusion aussi, Daech a pû construire des canaux de production et d’émission à travers le monde. Plusieurs entreprises constituent le socle de la communication de l’État islamique. Ces labels produisent et diffusent des vidéos à travers le monde dans une quinzaine de langues.

 

La première entreprise, « Al-furqan Media », s’occupe en priorité des communiqués, messages ou réactions du califat. C’est la voix officielle du groupe. « Al-Hayat » et « Al Itissam » gèrent la propagande à destination de l’Occident. C’est de là que proviennent les vidéos qui sement la terreur. Mais, à côté de ces mises en scène de décapitation ou d’immolation, d’autres images sont produites. Elles visent, notamment, à recruter de nouveaux membres, en dé-diabolisant Daech. Comme l’explique Emmanuel Hamelin, auteur du livre “Terrorisme et médias, des liaisons dangereuses?” : « ce sont des vidéos qui donnent une impression de normalité avec des scènes de la vie quotidienne presque occidentales, des images qui veulent donner du sens à ceux qui sont en quête d’identité et une réponse à ceux qui sont en quête d’aventure ». Le message est clair : les musulmans du monde entier sont les bienvenus. Ce contenu donne un visage au groupe djihadiste. Pour humaniser un peu plus Daech, ils ont souvent recours au symbole même de l’humanité : l’enfant. A l’école ou en famille, ils semblent toujours heureux et épanouis. Les djihadistes prennent soin de leur progéniture.

Les enfants sont devenus une pièce majeure de la propagande djihadiste.
/ Wassim Nasr

A partir de 2015, les jeunes permettent de faire passer un tout autre message. « Ils sont devenus une pièce majeure de la propagande de l’Etat islamique. Daech veut montrer qu’ils forment et préparent la relève et qu’ils prennent en charge les enfants », explique le journaliste Wassim Nasr. Il ne s’agit plus de diffuser un visage insouciant mais bien de les transformer en bourreaux. La vidéo « Message aux enfants des juifs », par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard. Six enfants doivent débusquer des espions cachés dans une forteresse pour ensuite les tuer.

Perte de vitesse

Avant la proclamation du califat, les dépenses médiatiques de Daech tournent autour de 100 000 dollars par mois. Quelques mois après cette déclaration, les vidéos de propagande se multiplient. Rien que sur le mois du ramadan en 2015, 1 146 contenus sont relayés. Il est arrivé que le budget atteigne 2,5 milliards de dollars par an, rien que pour le studio situé à Raqqa.

 

700 publications mensuelles pour Daech

Cependant, cette stratégie est en recul depuis 2016 et la mort de Wa’il al-Fayad, tué dans le bombardement de Raqqa. C’était l’homme fort de la communication de Daech. Selon un rapport réalisé par des chercheurs de l’académie militaire de West Point, “le nombre de communications mensuelles diffusées par Daech est passé de 700 publications, à l’été 2015, à moins de 200 un an plus tard. Les résultats en terme de recrutement de combattants étrangers sont en chute libre, passant de 2000 par mois à 200.” François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’IRIS, pointe deux raisons à cette chute de production :

 

– Un affaiblissement des capacités techniques de diffusion. « Quand on n’a plus de capitale ni de territoire et que l’on est sous les bombes, il est très difficile de faire des productions hollywoodiennes. »

– Le travail effectué par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) puisqu’il « est désormais beaucoup plus compliqué, en tant que non-initié, de trouver en ligne de la propagande djihadiste. »


Évidemment, la perte de vitesse de la propagande de Daech doit être mise en lien avec les différentes défaites militaires que connaît le groupe djihadiste. Selon plusieurs chercheurs, le groupe ne meurt pas mais se terre pour opérer plus clandestinement. Brandon Wallace et Jennifer Cafarella expliquent dans le rapport « La Seconde Résurgence de Daesh » que « Daesh a déjà restructuré ses opérations pour redevenir une insurrection régionale.” La machine médiatique serait-elle en quête d’un nouveau souffle ? sur le point de renaître ?

Le dijhad médiatique

Depuis 2014, Daech a envahi l’espace médiatique. Des vidéos choquantes aux images angéliques, ils reprennent les codes de la pop culture. Les codes des plus grosses productions hollywoodiennes. Analyse d’une stratégie médiatique qui a propulsé Daech sur le devant de la scène.

Au milieu des années 2000, les dirigeants d’Al-Qaïda voient le djihad médiatique comme la moitié du combat. C’est sur ce postulat que Daech va penser toute sa stratégie. En quelques mois seulement, ce groupe, alors inconnu, a réussi à s’imposer médiatiquement. De Twitter à Youtube, en passant par leurs propres médias, l’État islamique a réussi à professionnaliser sa propagande. Ils ont, en tête, un double objectif : semer la terreur et recruter. Ils ciblent notamment la génération internet, les jeunes nés après 1995, en utilisant des codes qui leur parlent. Des vidéos d’égorgement font, par exemple, référence à une scène du film « Seven » de David Fincher. 

 

Cependant, Daech n’a rien inventé. Il a développé une stratégie de communication, qui se veut plus réfléchie, professionnelle et réalisée sur mesure pour les nouveaux médias, via, notamment, des messages simplifiés et plus percutants.

Là où tout commence

Historiquement, la propagande djihadiste n’est pas née sur les réseaux sociaux. Sous l’impulsion de Abdallah Azzam, imam du djihad moderne, « Le bureau des services » (Maktab al-Khadamāt) voit le jour au Pakistan, en 1984. Pendant la guerre soviéto-afghane, cette structure devait permettre de recruter des volontaires musulmans. Quelques années plus tard, durant la guerre de Bosnie, les équipes de tournage sont créées. Elles glorifient la lutte des djihadistes. L’arrivée d’internet, en 1996, permet d’élargir les moyens de propagande, en créant des forums de discussions par exemple.

La propagande de l’Etat islamique a commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter.
/ Pieter Van Ostaeyen

A cette époque, le paysage médiatique aussi évolue et la chaîne  « Al Jazeera» apparaît, une chaîne de télévision qatari. Elle s’impose comme première chaîne d’information arabophone. Elle accepte notamment de re-transmettre les déclarations de Ben Laden.

 

En 2001, Al Qaïda frappe fort. Les images des tours jumelles font la Une de tous les journaux. Le groupe djihadiste devient “une marque de terreur”. L’année suivante, le journaliste Daniel Pearl est décapité. Une décapitation inédite puisqu’elle est filmée et diffusée sur internet. Finalement, en 2010, Anwar Al Awlaki, surnommé le Ben Laden du web, appelle les djihadistes à se saisir des réseaux sociaux.

 

Justement, la propagande de l’Etat islamique a, elle, bien commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter. Les comptes de combattants pullulaient sur la plateforme. Pieter van Ostaeyen a analysé longuement la stratégie médiatique de Daech. « Ils appellent Twitter, la province Twitter. A chaque fois qu’on supprime un compte, ils en recréent un dans la minute. J’ai déjà vu quelqu’un se faire supprimer de la plateforme 3 fois sur la même journée. La seule façon de sortir Daech de Twitter, c’est de supprimer Twitter ». Aujourd’hui, Twitter est beaucoup plus attentif et aurait déjà supprimé plus d’un million de comptes comprenant des contenus djihadistes.

Daech: une machine à propagande

En 2014, le premier jour du ramadan, le groupe djihadiste annonce l’établissement d’un califat sur les territoires contrôlés. La “province” est ainsi soumise à l’autorité d’un calife : l’émir Abou Bakr al-Baghadi. Cinq mois plus tard, le mini-film « N’en déplaise aux mécréants » est diffusé. Il marque un tournant pour les propagandes djihadistes. Des membres des forces spéciales de Daech vont égorger des soldats du régime. Pieter Van Ostayen, expert des réseaux djihadistes, a analysé cette vidéo. « Ce film a été extrêmement bien réalisé. Le tournage a duré au moins 8 heures. On voit que ces types savent exploiter la lumière, qu’ils ont du matériel et que le montage aussi est professionnel. On dirait un peu de la télé-réalité». Plusieurs de ces images renvoient, en effet, vers une émission grand public : Koh Lanta. Des aventuriers en ligne, au milieu d’un décor désertique. Et des exemples comme cela, il y en a plein. Les djihadistes vont reproduire des images de films de guerre ou de jeux vidéo. A un détail près, ici elles sont vraies.

La vidéo « Message aux enfants des juifs», par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard.

Pour réaliser ces films chocs, de véritables équipes de tournage sont mobilisées. En 2016, un ancien caméraman du groupe djihadiste a accepté  de témoigner dans le documentaire « Le studio de la terreur », d’Alexis Marant : « Quand tu rentres dans leur bureau, tu as l’impression de pénétrer dans les studios d’une grande production internationale. C’est un centre énorme avec un studio d’enregistrement, un studio de radio et un studio de tournage. Il y avait là l’élite des médias ». Une professionnalisation qui n’est pas uniquement technique puisqu’en terme de diffusion aussi, Daech a pû construire des canaux de production et d’émission à travers le monde. Plusieurs entreprises constituent le socle de la communication de l’État islamique. Ces labels produisent et diffusent des vidéos à travers le monde dans une quinzaine de langues.

 

La première entreprise, « Al-furqan Media », s’occupe en priorité des communiqués, messages ou réactions du califat. C’est la voix officielle du groupe. « Al-Hayat » et « Al Itissam » gèrent la propagande à destination de l’Occident. C’est de là que proviennent les vidéos qui sement la terreur. Mais, à côté de ces mises en scène de décapitation ou d’immolation, d’autres images sont produites. Elles visent, notamment, à recruter de nouveaux membres, en dé-diabolisant Daech. Comme l’explique Emmanuel Hamelin, auteur du livre “Terrorisme et médias, des liaisons dangereuses?” : « ce sont des vidéos qui donnent une impression de normalité avec des scènes de la vie quotidienne presque occidentales, des images qui veulent donner du sens à ceux qui sont en quête d’identité et une réponse à ceux qui sont en quête d’aventure ». Le message est clair : les musulmans du monde entier sont les bienvenus. Ce contenu donne un visage au groupe djihadiste. Pour humaniser un peu plus Daech, ils ont souvent recours au symbole même de l’humanité : l’enfant. A l’école ou en famille, ils semblent toujours heureux et épanouis. Les djihadistes prennent soin de leur progéniture.

Les enfants sont devenus une pièce majeure de la propagande djihadiste.
/ Wassim Nasr

A partir de 2015, les jeunes permettent de faire passer un tout autre message. « Ils sont devenus une pièce majeure de la propagande de l’Etat islamique. Daech veut montrer qu’ils forment et préparent la relève et qu’ils prennent en charge les enfants », explique le journaliste Wassim Nasr. Il ne s’agit plus de diffuser un visage insouciant mais bien de les transformer en bourreaux. La vidéo « Message aux enfants des juifs », par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard. Six enfants doivent débusquer des espions cachés dans une forteresse pour ensuite les tuer.

Perte de vitesse

Avant la proclamation du califat, les dépenses médiatiques de Daech tournent autour de 100 000 dollars par mois. Quelques mois après cette déclaration, les vidéos de propagande se multiplient. Rien que sur le mois du ramadan en 2015, 1 146 contenus sont relayés. Il est arrivé que le budget atteigne 2,5 milliards de dollars par an, rien que pour le studio situé à Raqqa.

 

700 publications mensuelles pour Daech

Cependant, cette stratégie est en recul depuis 2016 et la mort de Wa’il al-Fayad, tué dans le bombardement de Raqqa. C’était l’homme fort de la communication de Daech. Selon un rapport réalisé par des chercheurs de l’académie militaire de West Point, “le nombre de communications mensuelles diffusées par Daech est passé de 700 publications, à l’été 2015, à moins de 200 un an plus tard. Les résultats en terme de recrutement de combattants étrangers sont en chute libre, passant de 2000 par mois à 200.” François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’IRIS, pointe deux raisons à cette chute de production :

 

– Un affaiblissement des capacités techniques de diffusion. « Quand on n’a plus de capitale ni de territoire et que l’on est sous les bombes, il est très difficile de faire des productions hollywoodiennes. »

– Le travail effectué par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) puisqu’il « est désormais beaucoup plus compliqué, en tant que non-initié, de trouver en ligne de la propagande djihadiste. »


Évidemment, la perte de vitesse de la propagande de Daech doit être mise en lien avec les différentes défaites militaires que connaît le groupe djihadiste. Selon plusieurs chercheurs, le groupe ne meurt pas mais se terre pour opérer plus clandestinement. Brandon Wallace et Jennifer Cafarella expliquent dans le rapport « La Seconde Résurgence de Daesh » que « Daesh a déjà restructuré ses opérations pour redevenir une insurrection régionale.” La machine médiatique serait-elle en quête d’un nouveau souffle ? sur le point de renaître ?

Le dijhad médiatique

Depuis 2014, Daech a envahi l’espace médiatique. Des vidéos choquantes aux images angéliques, ils reprennent les codes de la pop culture. Les codes des plus grosses productions hollywoodiennes. Analyse d’une stratégie médiatique qui a propulsé Daech sur le devant de la scène.

Au milieu des années 2000, les dirigeants d’Al-Qaïda voient le djihad médiatique comme la moitié du combat. C’est sur ce postulat que Daech va penser toute sa stratégie. En quelques mois seulement, ce groupe, alors inconnu, a réussi à s’imposer médiatiquement. De Twitter à Youtube, en passant par leurs propres médias, l’État islamique a réussi à professionnaliser sa propagande. Ils ont, en tête, un double objectif : semer la terreur et recruter. Ils ciblent notamment la génération internet, les jeunes nés après 1995, en utilisant des codes qui leur parlent. Des vidéos d’égorgement font, par exemple, référence à une scène du film « Seven » de David Fincher. 

 

Cependant, Daech n’a rien inventé. Il a développé une stratégie de communication, qui se veut plus réfléchie, professionnelle et réalisée sur mesure pour les nouveaux médias, via, notamment, des messages simplifiés et plus percutants.

Là où tout commence

Historiquement, la propagande djihadiste n’est pas née sur les réseaux sociaux. Sous l’impulsion de Abdallah Azzam, imam du djihad moderne, « Le bureau des services » (Maktab al-Khadamāt) voit le jour au Pakistan, en 1984. Pendant la guerre soviéto-afghane, cette structure devait permettre de recruter des volontaires musulmans. Quelques années plus tard, durant la guerre de Bosnie, les équipes de tournage sont créées. Elles glorifient la lutte des djihadistes. L’arrivée d’internet, en 1996, permet d’élargir les moyens de propagande, en créant des forums de discussions par exemple.

La propagande de l’Etat islamique a commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter.
/ Pieter Van Ostaeyen

A cette époque, le paysage médiatique aussi évolue et la chaîne  « Al Jazeera» apparaît, une chaîne de télévision qatari. Elle s’impose comme première chaîne d’information arabophone. Elle accepte notamment de re-transmettre les déclarations de Ben Laden.

 

En 2001, Al Qaïda frappe fort. Les images des tours jumelles font la Une de tous les journaux. Le groupe djihadiste devient “une marque de terreur”. L’année suivante, le journaliste Daniel Pearl est décapité. Une décapitation inédite puisqu’elle est filmée et diffusée sur internet. Finalement, en 2010, Anwar Al Awlaki, surnommé le Ben Laden du web, appelle les djihadistes à se saisir des réseaux sociaux.

 

Justement, la propagande de l’Etat islamique a, elle, bien commencé sur les réseaux sociaux. Et plus particulièrement sur Twitter. Les comptes de combattants pullulaient sur la plateforme. Pieter van Ostaeyen a analysé longuement la stratégie médiatique de Daech. « Ils appellent Twitter, la province Twitter. A chaque fois qu’on supprime un compte, ils en recréent un dans la minute. J’ai déjà vu quelqu’un se faire supprimer de la plateforme 3 fois sur la même journée. La seule façon de sortir Daech de Twitter, c’est de supprimer Twitter ». Aujourd’hui, Twitter est beaucoup plus attentif et aurait déjà supprimé plus d’un million de comptes comprenant des contenus djihadistes.

Daech: une machine à propagande

En 2014, le premier jour du ramadan, le groupe djihadiste annonce l’établissement d’un califat sur les territoires contrôlés. La “province” est ainsi soumise à l’autorité d’un calife : l’émir Abou Bakr al-Baghadi. Cinq mois plus tard, le mini-film « N’en déplaise aux mécréants » est diffusé. Il marque un tournant pour les propagandes djihadistes. Des membres des forces spéciales de Daech vont égorger des soldats du régime. Pieter Van Ostayen, expert des réseaux djihadistes, a analysé cette vidéo. « Ce film a été extrêmement bien réalisé. Le tournage a duré au moins 8 heures. On voit que ces types savent exploiter la lumière, qu’ils ont du matériel et que le montage aussi est professionnel. On dirait un peu de la télé-réalité». Plusieurs de ces images renvoient, en effet, vers une émission grand public : Koh Lanta. Des aventuriers en ligne, au milieu d’un décor désertique. Et des exemples comme cela, il y en a plein. Les djihadistes vont reproduire des images de films de guerre ou de jeux vidéo. A un détail près, ici elles sont vraies.

La vidéo « Message aux enfants des juifs», par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard.

Pour réaliser ces films chocs, de véritables équipes de tournage sont mobilisées. En 2016, un ancien caméraman du groupe djihadiste a accepté  de témoigner dans le documentaire « Le studio de la terreur », d’Alexis Marant : « Quand tu rentres dans leur bureau, tu as l’impression de pénétrer dans les studios d’une grande production internationale. C’est un centre énorme avec un studio d’enregistrement, un studio de radio et un studio de tournage. Il y avait là l’élite des médias ». Une professionnalisation qui n’est pas uniquement technique puisqu’en terme de diffusion aussi, Daech a pû construire des canaux de production et d’émission à travers le monde. Plusieurs entreprises constituent le socle de la communication de l’État islamique. Ces labels produisent et diffusent des vidéos à travers le monde dans une quinzaine de langues.

 

La première entreprise, « Al-furqan Media », s’occupe en priorité des communiqués, messages ou réactions du califat. C’est la voix officielle du groupe. « Al-Hayat » et « Al Itissam » gèrent la propagande à destination de l’Occident. C’est de là que proviennent les vidéos qui sement la terreur. Mais, à côté de ces mises en scène de décapitation ou d’immolation, d’autres images sont produites. Elles visent, notamment, à recruter de nouveaux membres, en dé-diabolisant Daech. Comme l’explique Emmanuel Hamelin, auteur du livre “Terrorisme et médias, des liaisons dangereuses?” : « ce sont des vidéos qui donnent une impression de normalité avec des scènes de la vie quotidienne presque occidentales, des images qui veulent donner du sens à ceux qui sont en quête d’identité et une réponse à ceux qui sont en quête d’aventure ». Le message est clair : les musulmans du monde entier sont les bienvenus. Ce contenu donne un visage au groupe djihadiste. Pour humaniser un peu plus Daech, ils ont souvent recours au symbole même de l’humanité : l’enfant. A l’école ou en famille, ils semblent toujours heureux et épanouis. Les djihadistes prennent soin de leur progéniture.

Les enfants sont devenus une pièce majeure de la propagande djihadiste.
/ Wassim Nasr

A partir de 2015, les jeunes permettent de faire passer un tout autre message. « Ils sont devenus une pièce majeure de la propagande de l’Etat islamique. Daech veut montrer qu’ils forment et préparent la relève et qu’ils prennent en charge les enfants », explique le journaliste Wassim Nasr. Il ne s’agit plus de diffuser un visage insouciant mais bien de les transformer en bourreaux. La vidéo « Message aux enfants des juifs », par exemple, exploite les codes du jeu Fort Boyard. Six enfants doivent débusquer des espions cachés dans une forteresse pour ensuite les tuer.

Perte de vitesse

Avant la proclamation du califat, les dépenses médiatiques de Daech tournent autour de 100 000 dollars par mois. Quelques mois après cette déclaration, les vidéos de propagande se multiplient. Rien que sur le mois du ramadan en 2015, 1 146 contenus sont relayés. Il est arrivé que le budget atteigne 2,5 milliards de dollars par an, rien que pour le studio situé à Raqqa.

700 publications mensuelles pour Daech

Cependant, cette stratégie est en recul depuis 2016 et la mort de Wa’il al-Fayad, tué dans le bombardement de Raqqa. C’était l’homme fort de la communication de Daech. Selon un rapport réalisé par des chercheurs de l’académie militaire de West Point, “le nombre de communications mensuelles diffusées par Daech est passé de 700 publications, à l’été 2015, à moins de 200 un an plus tard. Les résultats en terme de recrutement de combattants étrangers sont en chute libre, passant de 2000 par mois à 200.” François-Bernard Huygue, directeur de recherche à l’IRIS, pointe deux raisons à cette chute de production :

 

– Un affaiblissement des capacités techniques de diffusion. « Quand on n’a plus de capitale ni de territoire et que l’on est sous les bombes, il est très difficile de faire des productions hollywoodiennes. »

– Le travail effectué par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) puisqu’il « est désormais beaucoup plus compliqué, en tant que non-initié, de trouver en ligne de la propagande djihadiste. »


Évidemment, la perte de vitesse de la propagande de Daech doit être mise en lien avec les différentes défaites militaires que connaît le groupe djihadiste. Selon plusieurs chercheurs, le groupe ne meurt pas mais se terre pour opérer plus clandestinement. Brandon Wallace et Jennifer Cafarella expliquent dans le rapport « La Seconde Résurgence de Daesh » que « Daesh a déjà restructuré ses opérations pour redevenir une insurrection régionale.” La machine médiatique serait-elle en quête d’un nouveau souffle ? sur le point de renaître ?