Retraité depuis plusieurs années, Jean-François n’était pas en bonne santé en novembre 2015, il revenait même d’un court séjour à l’hôpital. Pas suffisant pour décourager le septuagénaire de donner le dernier volet d’une formation. “Pendant mon cours, Lamia était passée à la maison, pour prendre de mes nouvelles. Notre fille avait quitté notre appartement depuis plusieurs années et était indépendante, ce qui ne l’empêchait pas de venir nous voir régulièrement. Comment aurait-on pu imaginer que ce vendredi était sa dernière visite…Le soir, j’étais avec mon épouse à notre appartement. Je me reposais dans la chambre quand nous avons entendu vers 21h30 des “pétarades””.
Il faudra plusieurs minutes pour que Jean-François comprenne ce qu’il se passe. “Nous avons reçu, sur What’s App, des messages provenant d’Egypte, le pays d’origine de ma femme. C’est à ce moment qu’on a allumé la télévision. Au début, il n’y avait que peu d’informations et tout était très confus.” Mais, au fil des minutes, la situation devient plus claire. Plus tragique aussi. Paris est la cible d’un attentat sans précédent.
Rapidement, Jean-François et son épouse, Nadia, envoient des messages à leurs proches. Tous répondent. Tous sauf Lamia. “Nadia a alors appelé le numéro d’urgence mis en place, mais notre fille n’était pas présente sur la liste des blessés reçus dans les hôpitaux. La cellule était prise d’assaut, on ne devait plus appeler. S’ils avaient des nouvelles de notre fille, ils nous contacteraient. On ne s’est pas inquiété. Elle ne fréquentait pas les bars attaqués.”
Je ne cherche pas la vérité, je cherche à revivre les derniers instants de Lamia.
/ Jean-François
Samedi 14 novembre. Le numéro d’urgence n’a pas rappelé, mais Jean-François et Nadia sont toujours sans nouvelle de leur fille. “Vers 10h, on apprend que Lamia est sur les listes de l’hôpital militaire. Mais c’était une fausse alerte.” Elle avait été consulter quelques semaines auparavant, et la standardiste s’était trompée. Les heures filent. L’angoisse de plus en plus présente. Vers 13h, la nouvelle tombe : Lamia est décédée. C’est un proche qui a alerté les parents. “Aujourd’hui, on attend toujours officiellement la confirmation du décès de notre fille par la police judiciaire”.
Dès le samedi 14 novembre, les familles des victimes peuvent se rendre à l’institut médico-légal. “On ne nous demande pas une identification. Il s’agit plutôt d’une présentation. Durant 3 minutes, nous pouvons regarder une dernière fois Lamia. Nous avons décidé d’attendre le lundi avant d’y aller, on voulait éviter la foule. Je me souviens avoir été bien accueilli, il y avait une psychologue à notre disposition.” Mais la douleur et l’appréhension sont grandes pour Jean-François. En état de choc, il décide de rester dans le sas d’accueil.
A la sortie de la salle, une amie de Lamia s’énerve et prend à parti la psychologue. Elle clame que le corps présenté n’est pas celui de son amie. Vérifications ADN faites, l’institut constate son erreur. Une erreur que le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes d’actes Terroristes et d’autres Infractions) va prendre en compte dans sa proposition d’indemnisation. “Mais, comment évaluer et estimer cette erreur? Je pense que si ma femme, Nadia, était seule, elle n’aurait rien dit, pour ne plus avoir à revivre cette situation.” À la douleur s’ajoute la maladresse des gens voulant adresser un petit mot de soutien à la famille. Sur le chemin du retour, le chauffeur de taxi aura cette phrase, dont se souvient parfaitement Jean-François : “Courage, la prochaine fois, ça sera la bonne.”
Son visage ne portait aucune trace de violence, elle était très belle !
/ Jean-François
Quelques jours plus tard, les proches de Lamia sont à nouveau reçus à l’institut médico-légal. Jean-François reste à nouveau en retrait, mais un de ses fils vient rapidement le chercher. “Papa, papa, tu dois venir, ne t’inquiète pas. J’y suis allé et c’était la bonne décision. Je pense que je l’aurais regretté. On ne voyait que son visage, le reste étant caché, mais il ne portait aucune trace de violence. Elle était très belle…”
Le 27 novembre, avant l’incinération et la dispersion des cendres de Lamia au Père Lachaise, Jean-François et Nadia sont conviés à la cérémonie d’hommage aux Invalides. Une cérémonie inédite. C’était la première fois que ce temple militaire accueillait un hommage à des civils anonymes. “C’était important. On s’est rendu compte à ce moment qu’on formait tous une grande famille.” Une famille écoutée et respectée par les politiques. Rapidement, les personnes touchées par les attaques ont reçu le statut symbolique de “victimes du terrorisme”. Pour François Hollande, “l’aide matérielle est importante mais elle doit aussi être humaine. Nombreux n’ont pas été blessés dans leur chair : il faut une prise en compte de ces blessures, qui perdurent très longtemps. Nous organisons souvent des cérémonies afin d’exprimer la peine des victimes et faire comprendre aux pouvoirs publics qu’il faut un travail dans la durée.”
“Ce statut n’offre pas d’avantage, explique ce père endeuillé, juste une reconnaissance qui est essentielle. Ma fille est décédée le 13 novembre, à partir de là, il n’y a plus rien à dire. J’ai du mal à expliquer pourquoi, mais je trouve que cela est normal. Nous n’avons pas choisi d’être des victimes. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité. Je suis choqué par la situation en Belgique où il aura fallu attendre plus d’un an avant qu’un statut ne soit donné.” En France, d’autres statuts tels que victimes civiles de guerre, pupilles de la Nation (pour les enfants ayant perdu un parent) ou encore veuves et veufs de guerre, peuvent également être octroyés et permettent, aux personnes concernées, de recevoir des aides, notamment financières.
Les contacts entre politiques et familles de victimes sont cordiaux, selon Jean-François, et se sont prolongés bien au delà de ce 27 novembre. “Nous rencontrons de temps en temps Anne Hidalgo, la maire de Paris. Elle est très à l’écoute, elle ne nous oublie pas et on peut la contacter si on a besoin d’aide. François Hollande a été très chaleureux avec nous à chacune de nos rencontres. Avec Emmanuel Macron, c’est différent. Nous l’avons rencontré lors des cérémonies le 13 novembre 2017. Il prend, comme Hollande, le temps avec chaque famille de victimes mais semble moins sensible. Après, c’est peut-être juste une impression.”
Après les attentats, plusieurs victimes ressentent le besoin de se rassembler. Des associations se créent. Si leurs objectifs sont souvent communs, elles ont parfois des difficultés à travailler ensemble.”Des batailles d’égo” évoque Jean-François, administrateur et membre de 13onze15, une association, regroupant essentiellement des parents en deuil, très active dans le devoir de mémoire. Rapidement, après les attentats, des plaques commémoratives sont installées aux différents endroits touchés et des cérémonies d’hommage sont organisées. “Personnellement, je me rends de temps en temps dans les écoles pour parler de Lamia et des attentats. On ne peut pas oublier !”
Les membres s’aident les uns les autres selon leurs compétences. Soutenue financièrement par les pouvoirs publics, l’association loue des bureaux dans le premier arrondissement de Paris. “Ce n’est pas grand chose. Un accueil et une salle de réunion, mais cela permet d’avoir un lieu où les victimes peuvent se rendre”. Ce budget permet également d’engager une secrétaire. “Son rôle est essentiel. Elle trie les mails, répond au téléphone et renvoie les interlocuteurs vers les personnes compétentes”.
Quand j'ai vu Abdeslam, je n'ai rien ressenti. J'étais content de le voir en bonne santé.
/ Jean-François
Enfin, cet argent facilite les voyages officiels des membres. “J’ai représenté 13onze15 lors du procès de la rue du Dries à Bruxelles.” Un moment important pour le papa de Lamia. “Quand j’ai vu arriver Abdeslam, je n’ai rien ressenti. J’ai été content de le voir en bonne santé. C’est quelque chose d’important pour moi qu’il ait été attrapé vivant. Je suis contre la peine de mort et je suis convaincu que les terroristes ont droit à un procès équitable. La plaidoirie de Sven Mary était d’ailleurs impressionnante.”
Autre réalité pour les victimes plus de 3 ans après les attentats: les propositions d’indemnisation. François Hollande estime que “l’État français a un devoir envers les victimes. Nous devons les indemniser, mais aussi les accompagner. Il faut faire en sorte que les familles aient toutes les informations. J’avais créé un secrétariat d’État pour assurer un suivi.” Le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions), organe financé par les contributions des assurés, est en charge de ce dossier. L’année 2015, marquée par plusieurs attentats, a vu les contributions des assurances augmenter et le Fonds a, selon certaines victimes, commencé à tout calculer et rationaliser pour rentrer dans son budget.
Cet organisme joue le rôle d’un guichet unique, coordonne toute l’aide et est en charge des indemnisations. Des provisions sont versées pour les funérailles, les soins médicaux ou encore l’aide juridique. Vient ensuite une proposition d’indemnisation qui prend en compte le dommage physique, psychique ou émotionnel.
Si les provisions arrivent “au compte-goutte” et que certaines victimes critiquent la lenteur du système, pour Jean-François, le système fonctionne bien “dans l’ensemble.” Même si les démarches et les procédures sont lourdes. “On doit établir et prouver le lien qu’on avait avec notre fille. On a donc dû reprendre tous les échanges sms, Whats’app, mails qu’on avait avec elle. Sur base de cette relation, le fonds proposera une indemnisation.”
Pour le moment, Jean-François, comme de nombreuses autres victimes, n’a encore rien signé. “Les avocats nous déconseillent de signer maintenant, car une fois que le dossier est clos, on ne peut plus rien espérer, même si les conditions d’indemnisation changent.” C’est là que résident les principales critiques à l’égard du système français. “Comment estimer en argent la perte de notre fille ? L’erreur à la morgue ? C’est une tâche très compliquée…” Ces indemnisations sont calculées à partir de critères “objectifs” selon le fonds pour éviter des discriminations, problème connu après le 22 mars 2016. Mais, bien souvent, les familles critiquent les montants proposés par le FGTI pour le décès d’un conjoint ou d’un époux estimé à 30 000 euros. Un montant insuffisant selon les proches, après un tel changement dans leur vie.
Retraité depuis plusieurs années, Jean-François n’était pas en bonne santé en novembre 2015, il revenait même d’un court séjour à l’hôpital. Pas suffisant pour décourager le septuagénaire de donner le dernier volet d’une formation. “Pendant mon cours, Lamia était passée à la maison, pour prendre de mes nouvelles. Notre fille avait quitté notre appartement depuis plusieurs années et était indépendante, ce qui ne l’empêchait pas de venir nous voir régulièrement. Comment aurait-on pu imaginer que ce vendredi était sa dernière visite…Le soir, j’étais avec mon épouse à notre appartement. Je me reposais dans la chambre quand nous avons entendu vers 21h30 des “pétarades””.
Il faudra plusieurs minutes pour que Jean-François comprenne ce qu’il se passe. “Nous avons reçu, sur What’s App, des messages provenant d’Egypte, le pays d’origine de ma femme. C’est à ce moment qu’on a allumé la télévision. Au début, il n’y avait que peu d’informations et tout était très confus.” Mais, au fil des minutes, la situation devient plus claire. Plus tragique aussi. Paris est la cible d’un attentat sans précédent.
Rapidement, Jean-François et son épouse, Nadia, envoient des messages à leurs proches. Tous répondent. Tous sauf Lamia. “Nadia a alors appelé le numéro d’urgence mis en place, mais notre fille n’était pas présente sur la liste des blessés reçus dans les hôpitaux. La cellule était prise d’assaut, on ne devait plus appeler. S’ils avaient des nouvelles de notre fille, ils nous contacteraient. On ne s’est pas inquiété. Elle ne fréquentait pas les bars attaqués.”
Je ne cherche pas la vérité, je cherche à revivre les derniers instants de Lamia.
/ Jean-François
Samedi 14 novembre. Le numéro d’urgence n’a pas rappelé, mais Jean-François et Nadia sont toujours sans nouvelle de leur fille. “Vers 10h, on apprend que Lamia est sur les listes de l’hôpital militaire. Mais c’était une fausse alerte.” Elle avait été consulter quelques semaines auparavant, et la standardiste s’était trompée. Les heures filent. L’angoisse de plus en plus présente. Vers 13h, la nouvelle tombe : Lamia est décédée. C’est un proche qui a alerté les parents. “Aujourd’hui, on attend toujours officiellement la confirmation du décès de notre fille par la police judiciaire”.
Dès le samedi 14 novembre, les familles des victimes peuvent se rendre à l’institut médico-légal. “On ne nous demande pas une identification. Il s’agit plutôt d’une présentation. Durant 3 minutes, nous pouvons regarder une dernière fois Lamia. Nous avons décidé d’attendre le lundi avant d’y aller, on voulait éviter la foule. Je me souviens avoir été bien accueilli, il y avait une psychologue à notre disposition.” Mais la douleur et l’appréhension sont grandes pour Jean-François. En état de choc, il décide de rester dans le sas d’accueil.
A la sortie de la salle, une amie de Lamia s’énerve et prend à parti la psychologue. Elle clame que le corps présenté n’est pas celui de son amie. Vérifications ADN faites, l’institut constate son erreur. Une erreur que le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes d’actes Terroristes et d’autres Infractions) va prendre en compte dans sa proposition d’indemnisation. “Mais, comment évaluer et estimer cette erreur? Je pense que si ma femme, Nadia, était seule, elle n’aurait rien dit, pour ne plus avoir à revivre cette situation.” À la douleur s’ajoute la maladresse des gens voulant adresser un petit mot de soutien à la famille. Sur le chemin du retour, le chauffeur de taxi aura cette phrase, dont se souvient parfaitement Jean-François : “Courage, la prochaine fois, ça sera la bonne.”
Son visage ne portait aucune trace de violence, elle était très belle !
/ Jean-François
Quelques jours plus tard, les proches de Lamia sont à nouveau reçus à l’institut médico-légal. Jean-François reste à nouveau en retrait, mais un de ses fils vient rapidement le chercher. “Papa, papa, tu dois venir, ne t’inquiète pas. J’y suis allé et c’était la bonne décision. Je pense que je l’aurais regretté. On ne voyait que son visage, le reste étant caché, mais il ne portait aucune trace de violence. Elle était très belle…”
Le 27 novembre, avant l’incinération et la dispersion des cendres de Lamia au Père Lachaise, Jean-François et Nadia sont conviés à la cérémonie d’hommage aux Invalides. Une cérémonie inédite. C’était la première fois que ce temple militaire accueillait un hommage à des civils anonymes. “C’était important. On s’est rendu compte à ce moment qu’on formait tous une grande famille.” Une famille écoutée et respectée par les politiques. Rapidement, les personnes touchées par les attaques ont reçu le statut symbolique de “victimes du terrorisme”. Pour François Hollande, “l’aide matérielle est importante mais elle doit aussi être humaine. Nombreux n’ont pas été blessés dans leur chair : il faut une prise en compte de ces blessures, qui perdurent très longtemps. Nous organisons souvent des cérémonies afin d’exprimer la peine des victimes et faire comprendre aux pouvoirs publics qu’il faut un travail dans la durée.”
“Ce statut n’offre pas d’avantage, explique ce père endeuillé, juste une reconnaissance qui est essentielle. Ma fille est décédée le 13 novembre, à partir de là, il n’y a plus rien à dire. J’ai du mal à expliquer pourquoi, mais je trouve que cela est normal. Nous n’avons pas choisi d’être des victimes. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité. Je suis choqué par la situation en Belgique où il aura fallu attendre plus d’un an avant qu’un statut ne soit donné.”
En France, d’autres statuts tels que victimes civiles de guerre, pupilles de la Nation (pour les enfants ayant perdu un parent) ou encore veuves et veufs de guerre, peuvent également être octroyés et permettent, aux personnes concernées, de recevoir des aides, notamment financières.
Les contacts entre politiques et familles de victimes sont cordiaux, selon Jean-François, et se sont prolongés bien au delà de ce 27 novembre. “Nous rencontrons de temps en temps Anne Hidalgo, la maire de Paris. Elle est très à l’écoute, elle ne nous oublie pas et on peut la contacter si on a besoin d’aide. François Hollande a été très chaleureux avec nous à chacune de nos rencontres. Avec Emmanuel Macron, c’est différent. Nous l’avons rencontré lors des cérémonies le 13 novembre 2017. Il prend, comme Hollande, le temps avec chaque famille de victimes mais semble moins sensible. Après, c’est peut-être juste une impression.”
Après les attentats, plusieurs victimes ressentent le besoin de se rassembler. Des associations se créent. Si leurs objectifs sont souvent communs, elles ont parfois des difficultés à travailler ensemble.”Des batailles d’égo” évoque Jean-François, administrateur et membre de 13onze15, une association, regroupant essentiellement des parents en deuil, très active dans le devoir de mémoire. Rapidement, après les attentats, des plaques commémoratives sont installées aux différents endroits touchés et des cérémonies d’hommage sont organisées. “Personnellement, je me rends de temps en temps dans les écoles pour parler de Lamia et des attentats. On ne peut pas oublier !”
Les membres s’aident les uns les autres selon leurs compétences. Soutenue financièrement par les pouvoirs publics, l’association loue des bureaux dans le premier arrondissement de Paris. “Ce n’est pas grand chose. Un accueil et une salle de réunion, mais cela permet d’avoir un lieu où les victimes peuvent se rendre”. Ce budget permet également d’engager une secrétaire. “Son rôle est essentiel. Elle trie les mails, répond au téléphone et renvoie les interlocuteurs vers les personnes compétentes”.
Quand j'ai vu Abdeslam, je n'ai rien ressenti. J'étais content de le voir en bonne santé.
/ Jean-François
Enfin, cet argent facilite les voyages officiels des membres. “J’ai représenté 13onze15 lors du procès de la rue du Dries à Bruxelles.” Un moment important pour le papa de Lamia. “Quand j’ai vu arriver Abdeslam, je n’ai rien ressenti. J’ai été content de le voir en bonne santé. C’est quelque chose d’important pour moi qu’il ait été attrapé vivant. Je suis contre la peine de mort et je suis convaincu que les terroristes ont droit à un procès équitable. La plaidoirie de Sven Mary était d’ailleurs impressionnante.”
Autre réalité pour les victimes plus de 3 ans après les attentats: les propositions d’indemnisation. François Hollande estime que “l’État français a un devoir envers les victimes. Nous devons les indemniser, mais aussi les accompagner. Il faut faire en sorte que les familles aient toutes les informations. J’avais créé un secrétariat d’État pour assurer un suivi.” Le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions), organe financé par les contributions des assurés, est en charge de ce dossier. L’année 2015, marquée par plusieurs attentats, a vu les contributions des assurances augmenter et le Fonds a, selon certaines victimes, commencé à tout calculer et rationaliser pour rentrer dans son budget.
Cet organisme joue le rôle d’un guichet unique, coordonne toute l’aide et est en charge des indemnisations. Des provisions sont versées pour les funérailles, les soins médicaux ou encore l’aide juridique. Vient ensuite une proposition d’indemnisation qui prend en compte le dommage physique, psychique ou émotionnel.
Si les provisions arrivent “au compte-goutte” et que certaines victimes critiquent la lenteur du système, pour Jean-François, le système fonctionne bien “dans l’ensemble.” Même si les démarches et les procédures sont lourdes. “On doit établir et prouver le lien qu’on avait avec notre fille. On a donc dû reprendre tous les échanges sms, Whats’app, mails qu’on avait avec elle. Sur base de cette relation, le fonds proposera une indemnisation.”
Pour le moment, Jean-François, comme de nombreuses autres victimes, n’a encore rien signé. “Les avocats nous déconseillent de signer maintenant, car une fois que le dossier est clos, on ne peut plus rien espérer, même si les conditions d’indemnisation changent.” C’est là que résident les principales critiques à l’égard du système français. “Comment estimer en argent la perte de notre fille ? L’erreur à la morgue ? C’est une tâche très compliquée…” Ces indemnisations sont calculées à partir de critères “objectifs” selon le fonds pour éviter des discriminations, problème connu après le 22 mars 2016. Mais, bien souvent, les familles critiquent les montants proposés par le FGTI pour le décès d’un conjoint ou d’un époux estimé à 30 000 euros. Un montant insuffisant selon les proches, après un tel changement dans leur vie.
Retraité depuis plusieurs années, Jean-François n’était pas en bonne santé en novembre 2015, il revenait même d’un court séjour à l’hôpital. Pas suffisant pour décourager le septuagénaire de donner le dernier volet d’une formation. “Pendant mon cours, Lamia était passée à la maison, pour prendre de mes nouvelles. Notre fille avait quitté notre appartement depuis plusieurs années et était indépendante, ce qui ne l’empêchait pas de venir nous voir régulièrement. Comment aurait-on pu imaginer que ce vendredi était sa dernière visite…Le soir, j’étais avec mon épouse à notre appartement. Je me reposais dans la chambre quand nous avons entendu vers 21h30 des “pétarades””.
Il faudra plusieurs minutes pour que Jean-François comprenne ce qu’il se passe. “Nous avons reçu, sur What’s App, des messages provenant d’Egypte, le pays d’origine de ma femme. C’est à ce moment qu’on a allumé la télévision. Au début, il n’y avait que peu d’informations et tout était très confus.” Mais, au fil des minutes, la situation devient plus claire. Plus tragique aussi. Paris est la cible d’un attentat sans précédent.
Rapidement, Jean-François et son épouse, Nadia, envoient des messages à leurs proches. Tous répondent. Tous sauf Lamia. “Nadia a alors appelé le numéro d’urgence mis en place, mais notre fille n’était pas présente sur la liste des blessés reçus dans les hôpitaux. La cellule était prise d’assaut, on ne devait plus appeler. S’ils avaient des nouvelles de notre fille, ils nous contacteraient. On ne s’est pas inquiété. Elle ne fréquentait pas les bars attaqués.”
Je ne cherche pas la vérité, je cherche à revivre les derniers instants de Lamia.
/ Jean-François
Samedi 14 novembre. Le numéro d’urgence n’a pas rappelé, mais Jean-François et Nadia sont toujours sans nouvelle de leur fille. “Vers 10h, on apprend que Lamia est sur les listes de l’hôpital militaire. Mais c’était une fausse alerte.” Elle avait été consulter quelques semaines auparavant, et la standardiste s’était trompée. Les heures filent. L’angoisse de plus en plus présente. Vers 13h, la nouvelle tombe : Lamia est décédée. C’est un proche qui a alerté les parents. “Aujourd’hui, on attend toujours officiellement la confirmation du décès de notre fille par la police judiciaire”.
Dès le samedi 14 novembre, les familles des victimes peuvent se rendre à l’institut médico-légal. “On ne nous demande pas une identification. Il s’agit plutôt d’une présentation. Durant 3 minutes, nous pouvons regarder une dernière fois Lamia. Nous avons décidé d’attendre le lundi avant d’y aller, on voulait éviter la foule. Je me souviens avoir été bien accueilli, il y avait une psychologue à notre disposition.” Mais la douleur et l’appréhension sont grandes pour Jean-François. En état de choc, il décide de rester dans le sas d’accueil.
A la sortie de la salle, une amie de Lamia s’énerve et prend à parti la psychologue. Elle clame que le corps présenté n’est pas celui de son amie. Vérifications ADN faites, l’institut constate son erreur. Une erreur que le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes d’actes Terroristes et d’autres Infractions) va prendre en compte dans sa proposition d’indemnisation. “Mais, comment évaluer et estimer cette erreur? Je pense que si ma femme, Nadia, était seule, elle n’aurait rien dit, pour ne plus avoir à revivre cette situation.” À la douleur s’ajoute la maladresse des gens voulant adresser un petit mot de soutien à la famille. Sur le chemin du retour, le chauffeur de taxi aura cette phrase, dont se souvient parfaitement Jean-François : “Courage, la prochaine fois, ça sera la bonne.”
Son visage ne portait aucune trace de violence, elle était très belle !
/ Jean-François
Quelques jours plus tard, les proches de Lamia sont à nouveau reçus à l’institut médico-légal. Jean-François reste à nouveau en retrait, mais un de ses fils vient rapidement le chercher. “Papa, papa, tu dois venir, ne t’inquiète pas. J’y suis allé et c’était la bonne décision. Je pense que je l’aurais regretté. On ne voyait que son visage, le reste étant caché, mais il ne portait aucune trace de violence. Elle était très belle…”
Le 27 novembre, avant l’incinération et la dispersion des cendres de Lamia au Père Lachaise, Jean-François et Nadia sont conviés à la cérémonie d’hommage aux Invalides. Une cérémonie inédite. C’était la première fois que ce temple militaire accueillait un hommage à des civils anonymes. “C’était important. On s’est rendu compte à ce moment qu’on formait tous une grande famille.” Une famille écoutée et respectée par les politiques. Rapidement, les personnes touchées par les attaques ont reçu le statut symbolique de “victimes du terrorisme”. Pour François Hollande, “l’aide matérielle est importante mais elle doit aussi être humaine. Nombreux n’ont pas été blessés dans leur chair : il faut une prise en compte de ces blessures, qui perdurent très longtemps. Nous organisons souvent des cérémonies afin d’exprimer la peine des victimes et faire comprendre aux pouvoirs publics qu’il faut un travail dans la durée.”
“Ce statut n’offre pas d’avantage, explique ce père endeuillé, juste une reconnaissance qui est essentielle. Ma fille est décédée le 13 novembre, à partir de là, il n’y a plus rien à dire. J’ai du mal à expliquer pourquoi, mais je trouve que cela est normal. Nous n’avons pas choisi d’être des victimes. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité. Je suis choqué par la situation en Belgique où il aura fallu attendre plus d’un an avant qu’un statut ne soit donné.”
En France, d’autres statuts tels que victimes civiles de guerre, pupilles de la Nation (pour les enfants ayant perdu un parent) ou encore veuves et veufs de guerre, peuvent également être octroyés et permettent, aux personnes concernées, de recevoir des aides, notamment financières.
Les contacts entre politiques et familles de victimes sont cordiaux, selon Jean-François, et se sont prolongés bien au delà de ce 27 novembre. “Nous rencontrons de temps en temps Anne Hidalgo, la maire de Paris. Elle est très à l’écoute, elle ne nous oublie pas et on peut la contacter si on a besoin d’aide. François Hollande a été très chaleureux avec nous à chacune de nos rencontres. Avec Emmanuel Macron, c’est différent. Nous l’avons rencontré lors des cérémonies le 13 novembre 2017. Il prend, comme Hollande, le temps avec chaque famille de victimes mais semble moins sensible. Après, c’est peut-être juste une impression.”
Après les attentats, plusieurs victimes ressentent le besoin de se rassembler. Des associations se créent. Si leurs objectifs sont souvent communs, elles ont parfois des difficultés à travailler ensemble.”Des batailles d’égo” évoque Jean-François, administrateur et membre de 13onze15, une association, regroupant essentiellement des parents en deuil, très active dans le devoir de mémoire. Rapidement, après les attentats, des plaques commémoratives sont installées aux différents endroits touchés et des cérémonies d’hommage sont organisées. “Personnellement, je me rends de temps en temps dans les écoles pour parler de Lamia et des attentats. On ne peut pas oublier !”
Les membres s’aident les uns les autres selon leurs compétences. Soutenue financièrement par les pouvoirs publics, l’association loue des bureaux dans le premier arrondissement de Paris. “Ce n’est pas grand chose. Un accueil et une salle de réunion, mais cela permet d’avoir un lieu où les victimes peuvent se rendre”. Ce budget permet également d’engager une secrétaire. “Son rôle est essentiel. Elle trie les mails, répond au téléphone et renvoie les interlocuteurs vers les personnes compétentes”.
Quand j'ai vu Abdeslam, je n'ai rien ressenti. J'étais content de le voir en bonne santé.
/ Jean-François
Enfin, cet argent facilite les voyages officiels des membres. “J’ai représenté 13onze15 lors du procès de la rue du Dries à Bruxelles.” Un moment important pour le papa de Lamia. “Quand j’ai vu arriver Abdeslam, je n’ai rien ressenti. J’ai été content de le voir en bonne santé. C’est quelque chose d’important pour moi qu’il ait été attrapé vivant. Je suis contre la peine de mort et je suis convaincu que les terroristes ont droit à un procès équitable. La plaidoirie de Sven Mary était d’ailleurs impressionnante.”
Autre réalité pour les victimes plus de 3 ans après les attentats: les propositions d’indemnisation. François Hollande estime que “l’État français a un devoir envers les victimes. Nous devons les indemniser, mais aussi les accompagner. Il faut faire en sorte que les familles aient toutes les informations. J’avais créé un secrétariat d’État pour assurer un suivi.” Le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions), organe financé par les contributions des assurés, est en charge de ce dossier. L’année 2015, marquée par plusieurs attentats, a vu les contributions des assurances augmenter et le Fonds a, selon certaines victimes, commencé à tout calculer et rationaliser pour rentrer dans son budget.
Cet organisme joue le rôle d’un guichet unique, coordonne toute l’aide et est en charge des indemnisations. Des provisions sont versées pour les funérailles, les soins médicaux ou encore l’aide juridique. Vient ensuite une proposition d’indemnisation qui prend en compte le dommage physique, psychique ou émotionnel.
Si les provisions arrivent “au compte-goutte” et que certaines victimes critiquent la lenteur du système, pour Jean-François, le système fonctionne bien “dans l’ensemble.” Même si les démarches et les procédures sont lourdes. “On doit établir et prouver le lien qu’on avait avec notre fille. On a donc dû reprendre tous les échanges sms, Whats’app, mails qu’on avait avec elle. Sur base de cette relation, le fonds proposera une indemnisation.”
Pour le moment, Jean-François, comme de nombreuses autres victimes, n’a encore rien signé. “Les avocats nous déconseillent de signer maintenant, car une fois que le dossier est clos, on ne peut plus rien espérer, même si les conditions d’indemnisation changent.” C’est là que résident les principales critiques à l’égard du système français. “Comment estimer en argent la perte de notre fille ? L’erreur à la morgue ? C’est une tâche très compliquée…” Ces indemnisations sont calculées à partir de critères “objectifs” selon le fonds pour éviter des discriminations, problème connu après le 22 mars 2016. Mais, bien souvent, les familles critiquent les montants proposés par le FGTI pour le décès d’un conjoint ou d’un époux estimé à 30 000 euros. Un montant insuffisant selon les proches, après un tel changement dans leur vie.
Retraité depuis plusieurs années, Jean-François n’était pas en bonne santé en novembre 2015, il revenait même d’un court séjour à l’hôpital. Pas suffisant pour décourager le septuagénaire de donner le dernier volet d’une formation. “Pendant mon cours, Lamia était passée à la maison, pour prendre de mes nouvelles. Notre fille avait quitté notre appartement depuis plusieurs années et était indépendante, ce qui ne l’empêchait pas de venir nous voir régulièrement. Comment aurait-on pu imaginer que ce vendredi était sa dernière visite…Le soir, j’étais avec mon épouse à notre appartement. Je me reposais dans la chambre quand nous avons entendu vers 21h30 des “pétarades””.
Il faudra plusieurs minutes pour que Jean-François comprenne ce qu’il se passe. “Nous avons reçu, sur What’s App, des messages provenant d’Egypte, le pays d’origine de ma femme. C’est à ce moment qu’on a allumé la télévision. Au début, il n’y avait que peu d’informations et tout était très confus.” Mais, au fil des minutes, la situation devient plus claire. Plus tragique aussi. Paris est la cible d’un attentat sans précédent.
Rapidement, Jean-François et son épouse, Nadia, envoient des messages à leurs proches. Tous répondent. Tous sauf Lamia. “Nadia a alors appelé le numéro d’urgence mis en place, mais notre fille n’était pas présente sur la liste des blessés reçus dans les hôpitaux. La cellule était prise d’assaut, on ne devait plus appeler. S’ils avaient des nouvelles de notre fille, ils nous contacteraient. On ne s’est pas inquiété. Elle ne fréquentait pas les bars attaqués.”
Je ne cherche pas la vérité, je cherche à revivre les derniers instants de Lamia.
/ Jean-François
Samedi 14 novembre. Le numéro d’urgence n’a pas rappelé, mais Jean-François et Nadia sont toujours sans nouvelle de leur fille. “Vers 10h, on apprend que Lamia est sur les listes de l’hôpital militaire. Mais c’était une fausse alerte.” Elle avait été consulter quelques semaines auparavant, et la standardiste s’était trompée. Les heures filent. L’angoisse de plus en plus présente. Vers 13h, la nouvelle tombe : Lamia est décédée. C’est un proche qui a alerté les parents. “Aujourd’hui, on attend toujours officiellement la confirmation du décès de notre fille par la police judiciaire”.
Dès le samedi 14 novembre, les familles des victimes peuvent se rendre à l’institut médico-légal. “On ne nous demande pas une identification. Il s’agit plutôt d’une présentation. Durant 3 minutes, nous pouvons regarder une dernière fois Lamia. Nous avons décidé d’attendre le lundi avant d’y aller, on voulait éviter la foule. Je me souviens avoir été bien accueilli, il y avait une psychologue à notre disposition.” Mais la douleur et l’appréhension sont grandes pour Jean-François. En état de choc, il décide de rester dans le sas d’accueil.
A la sortie de la salle, une amie de Lamia s’énerve et prend à parti la psychologue. Elle clame que le corps présenté n’est pas celui de son amie. Vérifications ADN faites, l’institut constate son erreur. Une erreur que le FGTI (Fonds de Garantie des Victimes d’actes Terroristes et d’autres Infractions) va prendre en compte dans sa proposition d’indemnisation. “Mais, comment évaluer et estimer cette erreur? Je pense que si ma femme, Nadia, était seule, elle n’aurait rien dit, pour ne plus avoir à revivre cette situation.” À la douleur s’ajoute la maladresse des gens voulant adresser un petit mot de soutien à la famille. Sur le chemin du retour, le chauffeur de taxi aura cette phrase, dont se souvient parfaitement Jean-François : “Courage, la prochaine fois, ça sera la bonne.”
Son visage ne portait aucune trace de violence, elle était très belle !
/ Jean-François
Quelques jours plus tard, les proches de Lamia sont à nouveau reçus à l’institut médico-légal. Jean-François reste à nouveau en retrait, mais un de ses fils vient rapidement le chercher. “Papa, papa, tu dois venir, ne t’inquiète pas. J’y suis allé et c’était la bonne décision. Je pense que je l’aurais regretté. On ne voyait que son visage, le reste étant caché, mais il ne portait aucune trace de violence. Elle était très belle…”
Le 27 novembre, avant l’incinération et la dispersion des cendres de Lamia au Père Lachaise, Jean-François et Nadia sont conviés à la cérémonie d’hommage aux Invalides. Une cérémonie inédite. C’était la première fois que ce temple militaire accueillait un hommage à des civils anonymes. “C’était important. On s’est rendu compte à ce moment qu’on formait tous une grande famille.” Une famille écoutée et respectée par les politiques. Rapidement, les personnes touchées par les attaques ont reçu le statut symbolique de “victimes du terrorisme”. Pour François Hollande, “l’aide matérielle est importante mais elle doit aussi être humaine. Nombreux n’ont pas été blessés dans leur chair : il faut une prise en compte de ces blessures, qui perdurent très longtemps. Nous organisons souvent des cérémonies afin d’exprimer la peine des victimes et faire comprendre aux pouvoirs publics qu’il faut un travail dans la durée.”
“Ce statut n’offre pas d’avantage, explique ce père endeuillé, juste une reconnaissance qui est essentielle. Ma fille est décédée le 13 novembre, à partir de là, il n’y a plus rien à dire. J’ai du mal à expliquer pourquoi, mais je trouve que cela est normal. Nous n’avons pas choisi d’être des victimes. L’Etat doit prendre sa part de responsabilité. Je suis choqué par la situation en Belgique où il aura fallu attendre plus d’un an avant qu’un statut ne soit donné.”
En France, d’autres statuts tels que victimes civiles de guerre, pupilles de la Nation (pour les enfants ayant perdu un parent) ou encore veuves et veufs de guerre, peuvent également être octroyés et permettent, aux personnes concernées, de recevoir des aides, notamment financières.
Les contacts entre politiques et familles de victimes sont cordiaux, selon Jean-François, et se sont prolongés bien au delà de ce 27 novembre. “Nous rencontrons de temps en temps Anne Hidalgo, la maire de Paris. Elle est très à l’écoute, elle ne nous oublie pas et on peut la contacter si on a besoin d’aide. François Hollande a été très chaleureux avec nous à chacune de nos rencontres. Avec Emmanuel Macron, c’est différent. Nous l’avons rencontré lors des cérémonies le 13 novembre 2017. Il prend, comme Hollande, le temps avec chaque famille de victimes mais semble moins sensible. Après, c’est peut-être juste une impression.”
Après les attentats, plusieurs victimes ressentent le besoin de se rassembler. Des associations se créent. Si leurs objectifs sont souvent communs, elles ont parfois des difficultés à travailler ensemble.”Des batailles d’égo” évoque Jean-François, administrateur et membre de 13onze15, une association, regroupant essentiellement des parents en deuil, très active dans le devoir de mémoire. Rapidement, après les attentats, des plaques commémoratives sont installées aux différents endroits touchés et des cérémonies d’hommage sont organisées. “Personnellement, je me rends de temps en temps dans les écoles pour parler de Lamia et des attentats. On ne peut pas oublier !”
Les membres s’aident les uns les autres selon leurs compétences. Soutenue financièrement par les pouvoirs publics, l’association loue des bureaux dans le premier arrondissement de Paris. “Ce n’est pas grand chose. Un accueil et une salle de réunion, mais cela permet d’avoir un lieu où les victimes peuvent se rendre”. Ce budget permet également d’engager une secrétaire. “Son rôle est essentiel. Elle trie les mails, répond au téléphone et renvoie les interlocuteurs vers les personnes compétentes”.
Quand j'ai vu Abdeslam, je n'ai rien ressenti. J'étais content de le voir en bonne santé.
/ Jean-François
Enfin, cet argent facilite les voyages officiels des membres. “J’ai représenté 13onze15 lors du procès de la rue du Dries à Bruxelles.” Un moment important pour le papa de Lamia. “Quand j’ai vu arriver Abdeslam, je n’ai rien ressenti. J’ai été content de le voir en bonne santé. C’est quelque chose d’important pour moi qu’il ait été attrapé vivant. Je suis contre la peine de mort et je suis convaincu que les terroristes ont droit à un procès équitable. La plaidoirie de Sven Mary était d’ailleurs impressionnante.”
Autre réalité pour les victimes plus de 3 ans après les attentats: les propositions d’indemnisation. François Hollande estime que “l’État français a un devoir envers les victimes. Nous devons les indemniser, mais aussi les accompagner. Il faut faire en sorte que les familles aient toutes les informations. J’avais créé un secrétariat d’État pour assurer un suivi.” Le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions), organe financé par les contributions des assurés, est en charge de ce dossier. L’année 2015, marquée par plusieurs attentats, a vu les contributions des assurances augmenter et le Fonds a, selon certaines victimes, commencé à tout calculer et rationaliser pour rentrer dans son budget.
Cet organisme joue le rôle d’un guichet unique, coordonne toute l’aide et est en charge des indemnisations. Des provisions sont versées pour les funérailles, les soins médicaux ou encore l’aide juridique. Vient ensuite une proposition d’indemnisation qui prend en compte le dommage physique, psychique ou émotionnel.
Si les provisions arrivent “au compte-goutte” et que certaines victimes critiquent la lenteur du système, pour Jean-François, le système fonctionne bien “dans l’ensemble.” Même si les démarches et les procédures sont lourdes. “On doit établir et prouver le lien qu’on avait avec notre fille. On a donc dû reprendre tous les échanges sms, Whats’app, mails qu’on avait avec elle. Sur base de cette relation, le fonds proposera une indemnisation.”
Pour le moment, Jean-François, comme de nombreuses autres victimes, n’a encore rien signé. “Les avocats nous déconseillent de signer maintenant, car une fois que le dossier est clos, on ne peut plus rien espérer, même si les conditions d’indemnisation changent.” C’est là que résident les principales critiques à l’égard du système français. “Comment estimer en argent la perte de notre fille ? L’erreur à la morgue ? C’est une tâche très compliquée…” Ces indemnisations sont calculées à partir de critères “objectifs” selon le fonds pour éviter des discriminations, problème connu après le 22 mars 2016. Mais, bien souvent, les familles critiquent les montants proposés par le FGTI pour le décès d’un conjoint ou d’un époux estimé à 30 000 euros. Un montant insuffisant selon les proches, après un tel changement dans leur vie.