Comme tous les jours, Philippe, membre du service IT de l’aéroport, se rend à Bruxelles-Zaventem pour travailler. Comme tous les jours, il passe par le hall des départs pour rejoindre son bureau, situé à une centaine de mètres de là. “Sans le savoir, je suis passé devant les 3 terroristes et leurs bombes. J’ai continué mon chemin et j’ai entendu une première explosion. J’ai pensé à un avion qui passait le mur du son. Mais, au-dessus de l’aéroport, c’est interdit, et donc impossible. Cela ne pouvait pas non plus être une explosion due au gaz …Il n’y en a pas dans les bâtiments de cette zone. Quelques secondes après, une deuxième détonation survenait.”
Philippe, breveté secouriste, commence à courir vers le lieu de l’explosion pour aider les blessés. « Je savais que les secours mettraient du temps à arriver à l’aéroport et qu’on allait devoir se débrouiller seuls pendant un bon moment. » Dès son arrivée dans le terminal, le secouriste occasionnel comprend l’ampleur de la tâche. « Il y avait de nombreux blessés sur le trottoir, devant l’entrée du terminal. Toutes les vitres avaient explosé. J’ai aidé les premiers blessés. J’ai commencé une réanimation à l’extérieur du terminal quand quelqu’un est venu me trouver et m’a annoncé que des personnes vivantes étaient encore dans le hall de départ. » À l’intérieur, Philippe continue son travail, entre blessés, morts et dégâts matériels. « Les faux plafonds étaient tombés et couvraient tout le sol, cela rendait les choses plus compliquées encore. J’ai continué à faire des garrots, des bandages de fortune et des réanimations.”
Je suis passé, sans le savoir, devant les terroristes et leurs bombes.
/ Philippe
Et puis, les secours arrivent. « Comme moi, ils sont d’abord restés à l’extérieur, à s’occuper des blessés qui avaient réussi à sortir. J’ai demandé à quelqu’un d’aller les prévenir pendant que je continuais mon travail.» Une arrivée salutaire pour cet homme seul face à tant d’horreur. Rapidement, les secouristes mettent en place un poste médical avancé. « J’ai encore aidé quelques personnes et puis j’ai vu que les secouristes avaient la situation en main et je me suis arrêté. J’étais épuisé. Les horreurs que j’ai vues ce matin-là sont des images indélébiles, impossible à effacer. J’ai regardé mon téléphone, j’avais plusieurs appels en absence. J’étais couvert de sang. Je suis allé dans mon bureau, j’ai mis mes vêtements dans la douche et j’ai fait couler l’eau.» A 11h, Philippe, toujours à son bureau, doit quitter les lieux. « Il y a eu beaucoup de mouvements à la sortie de l’aéroport. On nous a demandé de sortir sur le tarmac, sans explication. » Il l’apprendra quelques jours plus tard, une 3e bombe, qui n’avait pas explosé, venait d’être découverte.
Après l’urgence et l’action vient le temps de la prise de conscience. Vers midi, il se rend chez son médecin traitant qui lui donne deux calmants et lui prescrit un rendez-vous chez un psychologue. Assommé par les médicaments, Philippe trouve le sommeil assez rapidement. Le lendemain, il travaille, comme si de rien n’était. Son quotidien ne change d’ailleurs pas beaucoup les premiers mois après l’attentat. « Un mois après les attentats, je suis retourné dans le terminal, lorsque les députés de l’enquête parlementaire sont venus se recueillir avant le début des auditions. Il y avait des travaux et les zones des explosions étaient cachées. Cela ne m’a pas fait grand chose. J’ai pu expliquer aux politiciens mon implication et le récit de ma matinée. »
Cette matinée noire, Philippe la raconte également par écrit. Il envoie une lettre à son bourgmestre, au Premier ministre et au Roi. Seul le Roi lui répond. “ Une reconnaissance est importante pour notre reconstruction, mais le Premier n’a pas pris le temps de me répondre.” Le pouvoir exécutif a-t-il manqué d’empathie ? Jan Jambon, alors ministre de l’Intérieur, reconnait que le gouvernement “n’a pas été, au début, assez à l’écoute des victimes” tout en assurant que les revendications des victimes ont été prises en compte rapidement.
Via un article de presse, Philippe apprend l’existence d’une commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence. “C’est le seul soutien actuellement accessible mais cette commission ne peut pas contacter les victimes, car elle ne possède pas la liste officielle des personnes touchées par les attentats. Seuls la police et le parquet ont connaissance de cette liste, mais ils ne peuvent pas la communiquer. Cela complique les choses.” Composée de 3 personnes, la commission peut apporter des aides et des provisions d’urgence pour les funérailles ou soins médicaux. Une avance limitée en attendant la proposition d’indemnisation du préjudice qui incombe aux assurances privées.
C’est un petit service, composé de 3 personnes, pas forcément prêt à gérer des événements de telle ampleur.
/ Philippe
Au total, près de 320 décisions ont été prises et plus de 2 millions d’euros ont été versés. Un numéro de téléphone et une adresse mail ont été instaurés pour faciliter l’accueil des victimes. La commission indique, sur son site internet, que les conditions pour recevoir l’aide d’urgence ont été assouplies et les demandes traitées de manière plus rapide. Un guichet unique géré par le parquet fédéral est annoncé, mais à l’heure actuelle, il n’est pas encore opérationnel. Ce que regrette Georges Dallemagne, député cdH et membre de la commission d’enquête parlementaire. “Les victimes réclament des choses simples, notamment un guichet unique qui pourrait les aider dans les démarches administratives. Mais il n’existe pas, même si Koen Geens a encore affirmé récemment qu’il arrivera très vite.”
Pour Philippe, l’aide la plus précieuse viendra de l’association des victimes V-Europe, créée quelques mois après les attaques. “C’est le seul endroit où je me sens bien. Il y a quelque chose qui nous lie tous. On se comprend, on partage la même douleur et pour beaucoup le sentiment d’abandon depuis les attentats. » L’association offre, bénévolement, plusieurs services. “En fonction des compétences de chacun, on essaye d’aider les autres victimes dans le domaine juridique, médical, administratif,…” Aujourd’hui, l’association a réussi à rassembler en Belgique plus de 150 personnes, pourtant, V-Europe ne reçoit aucun subside. “On a démarré avec un don de la Fondation Roi Baudouin, mais cela ne dure qu’un an et on ne peut pas utiliser cet argent pour des frais salariaux. Impossible, par exemple, d’engager une secrétaire, qui nous serait d’une aide précieuse. On occupe un bâtiment qu’un particulier nous prête de manière provisoire. On cherche à obtenir des subsides mais ce n’est pas facile.”
Les cérémonies sont importantes pour nous, victimes.
/ Philippe
Les objectifs et actions de l’organisation sont nombreux et comprennent notamment, le devoir de mémoire. Le premier anniversaire souvenir des attentats s’est d’ailleurs déroulé dans un climat tendu. “Certaines victimes voulaient boycotter les commémorations, au vu de notre situation et notre isolement depuis les attentats.” Mais les quelques évolutions et victoires des derniers mois les avaient poussées à s’y rendre. “Ces cérémonies sont des moments très importants. Il ne faut pas oublier que c’est l’Etat belge et ses valeurs qui ont été touchés le 22 mars. Nous, les victimes, nous sommes des dommages collatéraux. Les terroristes ne nous visaient pas personnellement, ils voulaient toucher le gouvernement. La Belgique a un devoir de mémoire qu’elle ne respecte pas.”
A Bruxelles, plusieurs lieux rendent hommage aux victimes et appellent à se souvenir mais Philippe Vandenberghe reste amer. “A l’aéroport, la statue d’Olivier Strebelle a été rénovée et placée dans un parc près de l’aéroport, sans aucune plaque commémorative pour rappeler l’événement tragique. C’est le cas également pour le mémorial créé dans la forêt de Soignes. C’est une très bonne initiative, mais qui se souviendra de la symbolique de ce lieu si aucune plaque ne l’évoque ou ne l’explique ?” Ce manque de reconnaissance et ce sentiment d’abandon va plonger Philippe dans une dépression. Une dépression qu’il évoque dans son livre “Après ça”. “Je suis mort 1 an et deux jours après les attentats.”
Janvier 2017. Les victimes évoquent, devant la commission d’enquête parlementaire et des députés interloqués, leurs difficultés et leur sentiment d’abandon. Quelques jours plus tard, Charles Michel, sous pression, les reçoit et présente ses excuses pour les manquements du gouvernement. Excuses répétées publiquement quelques jours plus tard à la télévision. De nouvelles mesures tombent. Le dédommagement moral est pris en compte et remboursé par les assurances. Dans le même temps, le montant de l’aide d’urgence est doublé, passant de 15 000 à 30 000 euros. Une assurance juridique a également été votée 2017, sans effet rétro-actif. Enfin, après plus d’un an et demi d’attente, les victimes ont reçu un statut de solidarité nationale par la direction générale des victimes de guerre. Cela leur permet d’être associé aux hommages nationaux, de recevoir une pension de dédommagement et la gratuité des transports en commun.
Si Georges Dallemagne souligne “les quelques progrès réalisés, le député cdH reste critique, on s’est enterré dans un processus législatif très complexe et on a oublié de répondre aux premiers besoins. Cinq projets de loi ont déjà été votés et un sixième est en préparation, mais, finalement, on ne résout pas les vrais problèmes. Les victimes sont toujours confrontées directement aux assurances privées. Elles doivent se soumettre à de multiples expertises médicales.” Une réalité opposée aux recommandations établies par la commission parlementaire. “Les victimes souhaitaient une expertise unique pour calculer le taux d’invalidité. Un système à la française, avec un Etat qui dédommage les victimes et négocie avec les assurances ensuite.”
Une réalité que vit aujourd’hui Philippe. “En plus, les médecins qui nous reçoivent n’ont aucune expérience en matière de stress post-traumatique. Notre état peut se dégrader plusieurs mois voire années après les événements. J’en suis le bon exemple, j’allais très bien la première année et maintenant, je suis trop nerveux pour dormir ou conduire…”
Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs.
/ Philippe
Près de 3 ans après les attentats, Philippe négocie également avec les assurances, avec difficulté. “Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs. Et les deux prochaines années s’annoncent compliquées…” Contrairement à la France donc, les victimes belges doivent elles-mêmes entreprendre les démarches administratives auprès des assurances. “Elles jouent sur les délais et font tout pour nous décourager afin qu’on accepte l’indemnisation proposée. Une indemnisation qui est évidemment très insuffisante. L’assurance va, pour la première fois depuis près de 3 ans, effectuer une expertise sur mon état de santé.” souligne Philippe.
Constat partagé par Patricia, rescapée de l’attaque de Maelbeek. Il lui a fallu enchaîner les contrôles de routine pour vérifier que son arrêt de travail était justifié. “Avant mes rendez-vous avec les assurances, j’allais systématiquement chez un autre médecin pour qu’il puisse établir un bilan de santé complet.” La Belgique pourrait-elle s’inspirer de son voisin ? Aucun consensus politique n’existe actuellement. Alors que le gouvernement belge est minoritaire et en affaires courantes jusqu’en mai minimum, Georges Dallemagne ne se fait pas d’illusion. “Je ne pense pas que de grandes avancées vont avoir lieu. Pourtant, c’est essentiel pour les victimes et pour notre société qui a été touchée, dans son ensemble, le 22 mars.”
Comme tous les jours, Philippe, membre du service IT de l’aéroport, se rend à Bruxelles-Zaventem pour travailler. Comme tous les jours, il passe par le hall des départs pour rejoindre son bureau, situé à une centaine de mètres de là. “Sans le savoir, je suis passé devant les 3 terroristes et leurs bombes. J’ai continué mon chemin et j’ai entendu une première explosion. J’ai pensé à un avion qui passait le mur du son. Mais, au-dessus de l’aéroport, c’est interdit, et donc impossible. Cela ne pouvait pas non plus être une explosion due au gaz …Il n’y en a pas dans les bâtiments de cette zone. Quelques secondes après, une deuxième détonation survenait.”
Philippe, breveté secouriste, commence à courir vers le lieu de l’explosion pour aider les blessés. « Je savais que les secours mettraient du temps à arriver à l’aéroport et qu’on allait devoir se débrouiller seuls pendant un bon moment. » Dès son arrivée dans le terminal, le secouriste occasionnel comprend l’ampleur de la tâche. « Il y avait de nombreux blessés sur le trottoir, devant l’entrée du terminal. Toutes les vitres avaient explosé. J’ai aidé les premiers blessés. J’ai commencé une réanimation à l’extérieur du terminal quand quelqu’un est venu me trouver et m’a annoncé que des personnes vivantes étaient encore dans le hall de départ. » À l’intérieur, Philippe continue son travail, entre blessés, morts et dégâts matériels. « Les faux plafonds étaient tombés et couvraient tout le sol, cela rendait les choses plus compliquées encore. J’ai continué à faire des garrots, des bandages de fortune et des réanimations.”
Je suis passé, sans le savoir, devant les terroristes et leurs bombes.
/ Philippe
Et puis, les secours arrivent. « Comme moi, ils sont d’abord restés à l’extérieur, à s’occuper des blessés qui avaient réussi à sortir. J’ai demandé à quelqu’un d’aller les prévenir pendant que je continuais mon travail.» Une arrivée salutaire pour cet homme seul face à tant d’horreur. Rapidement, les secouristes mettent en place un poste médical avancé. « J’ai encore aidé quelques personnes et puis j’ai vu que les secouristes avaient la situation en main et je me suis arrêté. J’étais épuisé. Les horreurs que j’ai vues ce matin-là sont des images indélébiles, impossible à effacer. J’ai regardé mon téléphone, j’avais plusieurs appels en absence. J’étais couvert de sang. Je suis allé dans mon bureau, j’ai mis mes vêtements dans la douche et j’ai fait couler l’eau.» A 11h, Philippe, toujours à son bureau, doit quitter les lieux. « Il y a eu beaucoup de mouvements à la sortie de l’aéroport. On nous a demandé de sortir sur le tarmac, sans explication. » Il l’apprendra quelques jours plus tard, une 3e bombe, qui n’avait pas explosé, venait d’être découverte.
Après l’urgence et l’action vient le temps de la prise de conscience. Vers midi, il se rend chez son médecin traitant qui lui donne deux calmants et lui prescrit un rendez-vous chez un psychologue. Assommé par les médicaments, Philippe trouve le sommeil assez rapidement. Le lendemain, il travaille, comme si de rien n’était. Son quotidien ne change d’ailleurs pas beaucoup les premiers mois après l’attentat. « Un mois après les attentats, je suis retourné dans le terminal, lorsque les députés de l’enquête parlementaire sont venus se recueillir avant le début des auditions. Il y avait des travaux et les zones des explosions étaient cachées. Cela ne m’a pas fait grand chose. J’ai pu expliquer aux politiciens mon implication et le récit de ma matinée. »
Cette matinée noire, Philippe la raconte également par écrit. Il envoie une lettre à son bourgmestre, au Premier ministre et au Roi. Seul le Roi lui répond. “ Une reconnaissance est importante pour notre reconstruction, mais le Premier n’a pas pris le temps de me répondre.” Le pouvoir exécutif a-t-il manqué d’empathie ? Jan Jambon, alors ministre de l’Intérieur, reconnait que le gouvernement “n’a pas été, au début, assez à l’écoute des victimes” tout en assurant que les revendications des victimes ont été prises en compte rapidement.
Via un article de presse, Philippe apprend l’existence d’une commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence. “C’est le seul soutien actuellement accessible mais cette commission ne peut pas contacter les victimes, car elle ne possède pas la liste officielle des personnes touchées par les attentats. Seuls la police et le parquet ont connaissance de cette liste, mais ils ne peuvent pas la communiquer. Cela complique les choses.” Composée de 3 personnes, la commission peut apporter des aides et des provisions d’urgence pour les funérailles ou soins médicaux. Une avance limitée en attendant la proposition d’indemnisation du préjudice qui incombe aux assurances privées.
C’est un petit service, composé de 3 personnes, pas forcément prêt à gérer des événements de telle ampleur.
/ Philippe
Au total, près de 320 décisions ont été prises et plus de 2 millions d’euros ont été versés. Un numéro de téléphone et une adresse mail ont été instaurés pour faciliter l’accueil des victimes. La commission indique, sur son site internet, que les conditions pour recevoir l’aide d’urgence ont été assouplies et les demandes traitées de manière plus rapide. Un guichet unique géré par le parquet fédéral est annoncé, mais à l’heure actuelle, il n’est pas encore opérationnel. Ce que regrette Georges Dallemagne, député cdH et membre de la commission d’enquête parlementaire. “Les victimes réclament des choses simples, notamment un guichet unique qui pourrait les aider dans les démarches administratives. Mais il n’existe pas, même si Koen Geens a encore affirmé récemment qu’il arrivera très vite.”
Pour Philippe, l’aide la plus précieuse viendra de l’association des victimes V-Europe, créée quelques mois après les attaques. “C’est le seul endroit où je me sens bien. Il y a quelque chose qui nous lie tous. On se comprend, on partage la même douleur et pour beaucoup le sentiment d’abandon depuis les attentats. » L’association offre, bénévolement, plusieurs services. “En fonction des compétences de chacun, on essaye d’aider les autres victimes dans le domaine juridique, médical, administratif,…” Aujourd’hui, l’association a réussi à rassembler en Belgique plus de 150 personnes, pourtant, V-Europe ne reçoit aucun subside. “On a démarré avec un don de la Fondation Roi Baudouin, mais cela ne dure qu’un an et on ne peut pas utiliser cet argent pour des frais salariaux. Impossible, par exemple, d’engager une secrétaire, qui nous serait d’une aide précieuse. On occupe un bâtiment qu’un particulier nous prête de manière provisoire. On cherche à obtenir des subsides mais ce n’est pas facile.”
Les cérémonies sont importantes pour nous, victimes
/ Philippe
Les objectifs et actions de l’organisation sont nombreux et comprennent notamment, le devoir de mémoire. Le premier anniversaire souvenir des attentats s’est d’ailleurs déroulé dans un climat tendu. “Certaines victimes voulaient boycotter les commémorations, au vu de notre situation et notre isolement depuis les attentats.” Mais les quelques évolutions et victoires des derniers mois les avaient poussées à s’y rendre. “Ces cérémonies sont des moments très importants. Il ne faut pas oublier que c’est l’Etat belge et ses valeurs qui ont été touchés le 22 mars. Nous, les victimes, nous sommes des dommages collatéraux. Les terroristes ne nous visaient pas personnellement, ils voulaient toucher le gouvernement. La Belgique a un devoir de mémoire qu’elle ne respecte pas.”
A Bruxelles, plusieurs lieux rendent hommage aux victimes et appellent à se souvenir mais Philippe Vandenberghe reste amer. “A l’aéroport, la statue d’Olivier Strebelle a été rénovée et placée dans un parc près de l’aéroport, sans aucune plaque commémorative pour rappeler l’événement tragique. C’est le cas également pour le mémorial créé dans la forêt de Soignes. C’est une très bonne initiative, mais qui se souviendra de la symbolique de ce lieu si aucune plaque ne l’évoque ou ne l’explique ?” Ce manque de reconnaissance et ce sentiment d’abandon va plonger Philippe dans une dépression. Une dépression qu’il évoque dans son livre “Après ça”. “Je suis mort 1 an et deux jours après les attentats.”
Janvier 2017. Les victimes évoquent, devant la commission d’enquête parlementaire et des députés interloqués, leurs difficultés et leur sentiment d’abandon. Quelques jours plus tard, Charles Michel, sous pression, les reçoit et présente ses excuses pour les manquements du gouvernement. Excuses répétées publiquement quelques jours plus tard à la télévision. De nouvelles mesures tombent. Le dédommagement moral est pris en compte et remboursé par les assurances. Dans le même temps, le montant de l’aide d’urgence est doublé, passant de 15 000 à 30 000 euros. Une assurance juridique a également été votée 2017, sans effet rétro-actif. Enfin, après plus d’un an et demi d’attente, les victimes ont reçu un statut de solidarité nationale par la direction générale des victimes de guerre. Cela leur permet d’être associé aux hommages nationaux, de recevoir une pension de dédommagement et la gratuité des transports en commun.
Si Georges Dallemagne souligne “les quelques progrès réalisés, le député cdH reste critique, on s’est enterré dans un processus législatif très complexe et on a oublié de répondre aux premiers besoins. Cinq projets de loi ont déjà été votés et un sixième est en préparation, mais, finalement, on ne résout pas les vrais problèmes. Les victimes sont toujours confrontées directement aux assurances privées. Elles doivent se soumettre à de multiples expertises médicales.” Une réalité opposée aux recommandations établies par la commission parlementaire. “Les victimes souhaitaient une expertise unique pour calculer le taux d’invalidité. Un système à la française, avec un Etat qui dédommage les victimes et négocie avec les assurances ensuite.”
Une réalité que vit aujourd’hui Philippe. “En plus, les médecins qui nous reçoivent n’ont aucune expérience en matière de stress post-traumatique. Notre état peut se dégrader plusieurs mois voire années après les événements. J’en suis le bon exemple, j’allais très bien la première année et maintenant, je suis trop nerveux pour dormir ou conduire…”
Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs.
/ Philippe
Près de 3 ans après les attentats, Philippe négocie également avec les assurances, avec difficulté. “Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs. Et les deux prochaines années s’annoncent compliquées…” Contrairement à la France donc, les victimes belges doivent elles-mêmes entreprendre les démarches administratives auprès des assurances. “Elles jouent sur les délais et font tout pour nous décourager afin qu’on accepte l’indemnisation proposée. Une indemnisation qui est évidemment très insuffisante. L’assurance va, pour la première fois depuis près de 3 ans, effectuer une expertise sur mon état de santé.” souligne Philippe.
Constat partagé par Patricia, rescapée de l’attaque de Maelbeek. Il lui a fallu enchaîner les contrôles de routine pour vérifier que son arrêt de travail était justifié. “Avant mes rendez-vous avec les assurances, j’allais systématiquement chez un autre médecin pour qu’il puisse établir un bilan de santé complet.” La Belgique pourrait-elle s’inspirer de son voisin ? Aucun consensus politique n’existe actuellement. Alors que le gouvernement belge est minoritaire et en affaires courantes jusqu’en mai minimum, Georges Dallemagne ne se fait pas d’illusion. “Je ne pense pas que de grandes avancées vont avoir lieu. Pourtant, c’est essentiel pour les victimes et pour notre société qui a été touchée, dans son ensemble, le 22 mars.”
Comme tous les jours, Philippe, membre du service IT de l’aéroport, se rend à Bruxelles-Zaventem pour travailler. Comme tous les jours, il passe par le hall des départs pour rejoindre son bureau, situé à une centaine de mètres de là. “Sans le savoir, je suis passé devant les 3 terroristes et leurs bombes. J’ai continué mon chemin et j’ai entendu une première explosion. J’ai pensé à un avion qui passait le mur du son. Mais, au-dessus de l’aéroport, c’est interdit, et donc impossible. Cela ne pouvait pas non plus être une explosion due au gaz …Il n’y en a pas dans les bâtiments de cette zone. Quelques secondes après, une deuxième détonation survenait.”
Philippe, breveté secouriste, commence à courir vers le lieu de l’explosion pour aider les blessés. « Je savais que les secours mettraient du temps à arriver à l’aéroport et qu’on allait devoir se débrouiller seuls pendant un bon moment. » Dès son arrivée dans le terminal, le secouriste occasionnel comprend l’ampleur de la tâche. « Il y avait de nombreux blessés sur le trottoir, devant l’entrée du terminal. Toutes les vitres avaient explosé. J’ai aidé les premiers blessés. J’ai commencé une réanimation à l’extérieur du terminal quand quelqu’un est venu me trouver et m’a annoncé que des personnes vivantes étaient encore dans le hall de départ. » À l’intérieur, Philippe continue son travail, entre blessés, morts et dégâts matériels. « Les faux plafonds étaient tombés et couvraient tout le sol, cela rendait les choses plus compliquées encore. J’ai continué à faire des garrots, des bandages de fortune et des réanimations.”
Je suis passé, sans le savoir, devant les terroristes et leurs bombes.
/ Philippe
Et puis, les secours arrivent. « Comme moi, ils sont d’abord restés à l’extérieur, à s’occuper des blessés qui avaient réussi à sortir. J’ai demandé à quelqu’un d’aller les prévenir pendant que je continuais mon travail.» Une arrivée salutaire pour cet homme seul face à tant d’horreur. Rapidement, les secouristes mettent en place un poste médical avancé. « J’ai encore aidé quelques personnes et puis j’ai vu que les secouristes avaient la situation en main et je me suis arrêté. J’étais épuisé. Les horreurs que j’ai vues ce matin-là sont des images indélébiles, impossible à effacer. J’ai regardé mon téléphone, j’avais plusieurs appels en absence. J’étais couvert de sang. Je suis allé dans mon bureau, j’ai mis mes vêtements dans la douche et j’ai fait couler l’eau.» A 11h, Philippe, toujours à son bureau, doit quitter les lieux. « Il y a eu beaucoup de mouvements à la sortie de l’aéroport. On nous a demandé de sortir sur le tarmac, sans explication. » Il l’apprendra quelques jours plus tard, une 3e bombe, qui n’avait pas explosé, venait d’être découverte.
Après l’urgence et l’action vient le temps de la prise de conscience. Vers midi, il se rend chez son médecin traitant qui lui donne deux calmants et lui prescrit un rendez-vous chez un psychologue. Assommé par les médicaments, Philippe trouve le sommeil assez rapidement. Le lendemain, il travaille, comme si de rien n’était. Son quotidien ne change d’ailleurs pas beaucoup les premiers mois après l’attentat. « Un mois après les attentats, je suis retourné dans le terminal, lorsque les députés de l’enquête parlementaire sont venus se recueillir avant le début des auditions. Il y avait des travaux et les zones des explosions étaient cachées. Cela ne m’a pas fait grand chose. J’ai pu expliquer aux politiciens mon implication et le récit de ma matinée. »
Cette matinée noire, Philippe la raconte également par écrit. Il envoie une lettre à son bourgmestre, au Premier ministre et au Roi. Seul le Roi lui répond. “ Une reconnaissance est importante pour notre reconstruction, mais le Premier n’a pas pris le temps de me répondre.” Le pouvoir exécutif a-t-il manqué d’empathie ? Jan Jambon, alors ministre de l’Intérieur, reconnait que le gouvernement “n’a pas été, au début, assez à l’écoute des victimes” tout en assurant que les revendications des victimes ont été prises en compte rapidement.
Via un article de presse, Philippe apprend l’existence d’une commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence. “C’est le seul soutien actuellement accessible mais cette commission ne peut pas contacter les victimes, car elle ne possède pas la liste officielle des personnes touchées par les attentats. Seuls la police et le parquet ont connaissance de cette liste, mais ils ne peuvent pas la communiquer. Cela complique les choses.” Composée de 3 personnes, la commission peut apporter des aides et des provisions d’urgence pour les funérailles ou soins médicaux. Une avance limitée en attendant la proposition d’indemnisation du préjudice qui incombe aux assurances privées.
C’est un petit service, composé de 3 personnes, pas forcément prêt à gérer des événements de telle ampleur.
/ Philippe
Au total, près de 320 décisions ont été prises et plus de 2 millions d’euros ont été versés. Un numéro de téléphone et une adresse mail ont été instaurés pour faciliter l’accueil des victimes. La commission indique, sur son site internet, que les conditions pour recevoir l’aide d’urgence ont été assouplies et les demandes traitées de manière plus rapide. Un guichet unique géré par le parquet fédéral est annoncé, mais à l’heure actuelle, il n’est pas encore opérationnel. Ce que regrette Georges Dallemagne, député cdH et membre de la commission d’enquête parlementaire. “Les victimes réclament des choses simples, notamment un guichet unique qui pourrait les aider dans les démarches administratives. Mais il n’existe pas, même si Koen Geens a encore affirmé récemment qu’il arrivera très vite.”
Pour Philippe, l’aide la plus précieuse viendra de l’association des victimes V-Europe, créée quelques mois après les attaques. “C’est le seul endroit où je me sens bien. Il y a quelque chose qui nous lie tous. On se comprend, on partage la même douleur et pour beaucoup le sentiment d’abandon depuis les attentats. » L’association offre, bénévolement, plusieurs services. “En fonction des compétences de chacun, on essaye d’aider les autres victimes dans le domaine juridique, médical, administratif,…” Aujourd’hui, l’association a réussi à rassembler en Belgique plus de 150 personnes, pourtant, V-Europe ne reçoit aucun subside. “On a démarré avec un don de la Fondation Roi Baudouin, mais cela ne dure qu’un an et on ne peut pas utiliser cet argent pour des frais salariaux. Impossible, par exemple, d’engager une secrétaire, qui nous serait d’une aide précieuse. On occupe un bâtiment qu’un particulier nous prête de manière provisoire. On cherche à obtenir des subsides mais ce n’est pas facile.”
Les cérémonies sont importantes pour nous, victimes.
/ Philippe
Les objectifs et actions de l’organisation sont nombreux et comprennent notamment, le devoir de mémoire. Le premier anniversaire souvenir des attentats s’est d’ailleurs déroulé dans un climat tendu. “Certaines victimes voulaient boycotter les commémorations, au vu de notre situation et notre isolement depuis les attentats.” Mais les quelques évolutions et victoires des derniers mois les avaient poussées à s’y rendre. “Ces cérémonies sont des moments très importants. Il ne faut pas oublier que c’est l’Etat belge et ses valeurs qui ont été touchés le 22 mars. Nous, les victimes, nous sommes des dommages collatéraux. Les terroristes ne nous visaient pas personnellement, ils voulaient toucher le gouvernement. La Belgique a un devoir de mémoire qu’elle ne respecte pas.”
A Bruxelles, plusieurs lieux rendent hommage aux victimes et appellent à se souvenir mais Philippe Vandenberghe reste amer. “A l’aéroport, la statue d’Olivier Strebelle a été rénovée et placée dans un parc près de l’aéroport, sans aucune plaque commémorative pour rappeler l’événement tragique. C’est le cas également pour le mémorial créé dans la forêt de Soignes. C’est une très bonne initiative, mais qui se souviendra de la symbolique de ce lieu si aucune plaque ne l’évoque ou ne l’explique ?” Ce manque de reconnaissance et ce sentiment d’abandon va plonger Philippe dans une dépression. Une dépression qu’il évoque dans son livre “Après ça”. “Je suis mort 1 an et deux jours après les attentats.”
Janvier 2017. Les victimes évoquent, devant la commission d’enquête parlementaire et des députés interloqués, leurs difficultés et leur sentiment d’abandon. Quelques jours plus tard, Charles Michel, sous pression, les reçoit et présente ses excuses pour les manquements du gouvernement. Excuses répétées publiquement quelques jours plus tard à la télévision. De nouvelles mesures tombent. Le dédommagement moral est pris en compte et remboursé par les assurances. Dans le même temps, le montant de l’aide d’urgence est doublé, passant de 15 000 à 30 000 euros. Une assurance juridique a également été votée 2017, sans effet rétro-actif. Enfin, après plus d’un an et demi d’attente, les victimes ont reçu un statut de solidarité nationale par la direction générale des victimes de guerre. Cela leur permet d’être associé aux hommages nationaux, de recevoir une pension de dédommagement et la gratuité des transports en commun.
Si Georges Dallemagne souligne “les quelques progrès réalisés, le député cdH reste critique, on s’est enterré dans un processus législatif très complexe et on a oublié de répondre aux premiers besoins. Cinq projets de loi ont déjà été votés et un sixième est en préparation, mais, finalement, on ne résout pas les vrais problèmes. Les victimes sont toujours confrontées directement aux assurances privées. Elles doivent se soumettre à de multiples expertises médicales.” Une réalité opposée aux recommandations établies par la commission parlementaire. “Les victimes souhaitaient une expertise unique pour calculer le taux d’invalidité. Un système à la française, avec un Etat qui dédommage les victimes et négocie avec les assurances ensuite.”
Une réalité que vit aujourd’hui Philippe. “En plus, les médecins qui nous reçoivent n’ont aucune expérience en matière de stress post-traumatique. Notre état peut se dégrader plusieurs mois voire années après les événements. J’en suis le bon exemple, j’allais très bien la première année et maintenant, je suis trop nerveux pour dormir ou conduire…”
Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs.
/ Philippe
Près de 3 ans après les attentats, Philippe négocie également avec les assurances, avec difficulté. “Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs. Et les deux prochaines années s’annoncent compliquées…” Contrairement à la France donc, les victimes belges doivent elles-mêmes entreprendre les démarches administratives auprès des assurances. “Elles jouent sur les délais et font tout pour nous décourager afin qu’on accepte l’indemnisation proposée. Une indemnisation qui est évidemment très insuffisante. L’assurance va, pour la première fois depuis près de 3 ans, effectuer une expertise sur mon état de santé.” souligne Philippe.
Constat partagé par Patricia, rescapée de l’attaque de Maelbeek. Il lui a fallu enchaîner les contrôles de routine pour vérifier que son arrêt de travail était justifié. “Avant mes rendez-vous avec les assurances, j’allais systématiquement chez un autre médecin pour qu’il puisse établir un bilan de santé complet.” La Belgique pourrait-elle s’inspirer de son voisin ? Aucun consensus politique n’existe actuellement. Alors que le gouvernement belge est minoritaire et en affaires courantes jusqu’en mai minimum, Georges Dallemagne ne se fait pas d’illusion. “Je ne pense pas que de grandes avancées vont avoir lieu. Pourtant, c’est essentiel pour les victimes et pour notre société qui a été touchée, dans son ensemble, le 22 mars.”
Comme tous les jours, Philippe, membre du service IT de l’aéroport, se rend à Bruxelles-Zaventem pour travailler. Comme tous les jours, il passe par le hall des départs pour rejoindre son bureau, situé à une centaine de mètres de là. “Sans le savoir, je suis passé devant les 3 terroristes et leurs bombes. J’ai continué mon chemin et j’ai entendu une première explosion. J’ai pensé à un avion qui passait le mur du son. Mais, au-dessus de l’aéroport, c’est interdit, et donc impossible. Cela ne pouvait pas non plus être une explosion due au gaz …Il n’y en a pas dans les bâtiments de cette zone. Quelques secondes après, une deuxième détonation survenait.”
Philippe, breveté secouriste, commence à courir vers le lieu de l’explosion pour aider les blessés. « Je savais que les secours mettraient du temps à arriver à l’aéroport et qu’on allait devoir se débrouiller seuls pendant un bon moment. » Dès son arrivée dans le terminal, le secouriste occasionnel comprend l’ampleur de la tâche. « Il y avait de nombreux blessés sur le trottoir, devant l’entrée du terminal. Toutes les vitres avaient explosé. J’ai aidé les premiers blessés. J’ai commencé une réanimation à l’extérieur du terminal quand quelqu’un est venu me trouver et m’a annoncé que des personnes vivantes étaient encore dans le hall de départ. » À l’intérieur, Philippe continue son travail, entre blessés, morts et dégâts matériels. « Les faux plafonds étaient tombés et couvraient tout le sol, cela rendait les choses plus compliquées encore. J’ai continué à faire des garrots, des bandages de fortune et des réanimations.”
Je suis passé, sans le savoir, devant les terroristes et leurs bombes.
/ Philippe
Et puis, les secours arrivent. « Comme moi, ils sont d’abord restés à l’extérieur, à s’occuper des blessés qui avaient réussi à sortir. J’ai demandé à quelqu’un d’aller les prévenir pendant que je continuais mon travail.» Une arrivée salutaire pour cet homme seul face à tant d’horreur. Rapidement, les secouristes mettent en place un poste médical avancé. « J’ai encore aidé quelques personnes et puis j’ai vu que les secouristes avaient la situation en main et je me suis arrêté. J’étais épuisé. Les horreurs que j’ai vues ce matin-là sont des images indélébiles, impossible à effacer. J’ai regardé mon téléphone, j’avais plusieurs appels en absence. J’étais couvert de sang. Je suis allé dans mon bureau, j’ai mis mes vêtements dans la douche et j’ai fait couler l’eau.» A 11h, Philippe, toujours à son bureau, doit quitter les lieux. « Il y a eu beaucoup de mouvements à la sortie de l’aéroport. On nous a demandé de sortir sur le tarmac, sans explication. » Il l’apprendra quelques jours plus tard, une 3e bombe, qui n’avait pas explosé, venait d’être découverte.
Après l’urgence et l’action vient le temps de la prise de conscience. Vers midi, il se rend chez son médecin traitant qui lui donne deux calmants et lui prescrit un rendez-vous chez un psychologue. Assommé par les médicaments, Philippe trouve le sommeil assez rapidement. Le lendemain, il travaille, comme si de rien n’était. Son quotidien ne change d’ailleurs pas beaucoup les premiers mois après l’attentat. « Un mois après les attentats, je suis retourné dans le terminal, lorsque les députés de l’enquête parlementaire sont venus se recueillir avant le début des auditions. Il y avait des travaux et les zones des explosions étaient cachées. Cela ne m’a pas fait grand chose. J’ai pu expliquer aux politiciens mon implication et le récit de ma matinée. »
Cette matinée noire, Philippe la raconte également par écrit. Il envoie une lettre à son bourgmestre, au Premier ministre et au Roi. Seul le Roi lui répond. “ Une reconnaissance est importante pour notre reconstruction, mais le Premier n’a pas pris le temps de me répondre.” Le pouvoir exécutif a-t-il manqué d’empathie ? Jan Jambon, alors ministre de l’Intérieur, reconnait que le gouvernement “n’a pas été, au début, assez à l’écoute des victimes” tout en assurant que les revendications des victimes ont été prises en compte rapidement.
Via un article de presse, Philippe apprend l’existence d’une commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence. “C’est le seul soutien actuellement accessible mais cette commission ne peut pas contacter les victimes, car elle ne possède pas la liste officielle des personnes touchées par les attentats. Seuls la police et le parquet ont connaissance de cette liste, mais ils ne peuvent pas la communiquer. Cela complique les choses.” Composée de 3 personnes, la commission peut apporter des aides et des provisions d’urgence pour les funérailles ou soins médicaux. Une avance limitée en attendant la proposition d’indemnisation du préjudice qui incombe aux assurances privées.
C’est un petit service, composé de 3 personnes, pas forcément prêt à gérer des événements de telle ampleur.
/ Philippe
Au total, près de 320 décisions ont été prises et plus de 2 millions d’euros ont été versés. Un numéro de téléphone et une adresse mail ont été instaurés pour faciliter l’accueil des victimes. La commission indique, sur son site internet, que les conditions pour recevoir l’aide d’urgence ont été assouplies et les demandes traitées de manière plus rapide. Un guichet unique géré par le parquet fédéral est annoncé, mais à l’heure actuelle, il n’est pas encore opérationnel. Ce que regrette Georges Dallemagne, député cdH et membre de la commission d’enquête parlementaire. “Les victimes réclament des choses simples, notamment un guichet unique qui pourrait les aider dans les démarches administratives. Mais il n’existe pas, même si Koen Geens a encore affirmé récemment qu’il arrivera très vite.”
Pour Philippe, l’aide la plus précieuse viendra de l’association des victimes V-Europe, créée quelques mois après les attaques. “C’est le seul endroit où je me sens bien. Il y a quelque chose qui nous lie tous. On se comprend, on partage la même douleur et pour beaucoup le sentiment d’abandon depuis les attentats. » L’association offre, bénévolement, plusieurs services. “En fonction des compétences de chacun, on essaye d’aider les autres victimes dans le domaine juridique, médical, administratif,…” Aujourd’hui, l’association a réussi à rassembler en Belgique plus de 150 personnes, pourtant, V-Europe ne reçoit aucun subside. “On a démarré avec un don de la Fondation Roi Baudouin, mais cela ne dure qu’un an et on ne peut pas utiliser cet argent pour des frais salariaux. Impossible, par exemple, d’engager une secrétaire, qui nous serait d’une aide précieuse. On occupe un bâtiment qu’un particulier nous prête de manière provisoire. On cherche à obtenir des subsides mais ce n’est pas facile.”
Les cérémonies sont importantes pour nous, victimes.
/ Philippe
Les objectifs et actions de l’organisation sont nombreux et comprennent notamment, le devoir de mémoire. Le premier anniversaire souvenir des attentats s’est d’ailleurs déroulé dans un climat tendu. “Certaines victimes voulaient boycotter les commémorations, au vu de notre situation et notre isolement depuis les attentats.” Mais les quelques évolutions et victoires des derniers mois les avaient poussées à s’y rendre. “Ces cérémonies sont des moments très importants. Il ne faut pas oublier que c’est l’Etat belge et ses valeurs qui ont été touchés le 22 mars. Nous, les victimes, nous sommes des dommages collatéraux. Les terroristes ne nous visaient pas personnellement, ils voulaient toucher le gouvernement. La Belgique a un devoir de mémoire qu’elle ne respecte pas.”
A Bruxelles, plusieurs lieux rendent hommage aux victimes et appellent à se souvenir mais Philippe Vandenberghe reste amer. “A l’aéroport, la statue d’Olivier Strebelle a été rénovée et placée dans un parc près de l’aéroport, sans aucune plaque commémorative pour rappeler l’événement tragique. C’est le cas également pour le mémorial créé dans la forêt de Soignes. C’est une très bonne initiative, mais qui se souviendra de la symbolique de ce lieu si aucune plaque ne l’évoque ou ne l’explique ?” Ce manque de reconnaissance et ce sentiment d’abandon va plonger Philippe dans une dépression. Une dépression qu’il évoque dans son livre “Après ça”. “Je suis mort 1 an et deux jours après les attentats.”
Janvier 2017. Les victimes évoquent, devant la commission d’enquête parlementaire et des députés interloqués, leurs difficultés et leur sentiment d’abandon. Quelques jours plus tard, Charles Michel, sous pression, les reçoit et présente ses excuses pour les manquements du gouvernement. Excuses répétées publiquement quelques jours plus tard à la télévision. De nouvelles mesures tombent. Le dédommagement moral est pris en compte et remboursé par les assurances. Dans le même temps, le montant de l’aide d’urgence est doublé, passant de 15 000 à 30 000 euros. Une assurance juridique a également été votée 2017, sans effet rétro-actif. Enfin, après plus d’un an et demi d’attente, les victimes ont reçu un statut de solidarité nationale par la direction générale des victimes de guerre. Cela leur permet d’être associé aux hommages nationaux, de recevoir une pension de dédommagement et la gratuité des transports en commun.
Si Georges Dallemagne souligne “les quelques progrès réalisés, le député cdH reste critique, on s’est enterré dans un processus législatif très complexe et on a oublié de répondre aux premiers besoins. Cinq projets de loi ont déjà été votés et un sixième est en préparation, mais, finalement, on ne résout pas les vrais problèmes. Les victimes sont toujours confrontées directement aux assurances privées. Elles doivent se soumettre à de multiples expertises médicales.” Une réalité opposée aux recommandations établies par la commission parlementaire. “Les victimes souhaitaient une expertise unique pour calculer le taux d’invalidité. Un système à la française, avec un Etat qui dédommage les victimes et négocie avec les assurances ensuite.”
Une réalité que vit aujourd’hui Philippe. “En plus, les médecins qui nous reçoivent n’ont aucune expérience en matière de stress post-traumatique. Notre état peut se dégrader plusieurs mois voire années après les événements. J’en suis le bon exemple, j’allais très bien la première année et maintenant, je suis trop nerveux pour dormir ou conduire…”
Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs.
/ Philippe
Près de 3 ans après les attentats, Philippe négocie également avec les assurances, avec difficulté. “Durant la première année, je ne dormais pas à cause des images des blessés de l’attentat. Maintenant, je ne trouve plus le sommeil à cause des problèmes administratifs. Et les deux prochaines années s’annoncent compliquées…” Contrairement à la France donc, les victimes belges doivent elles-mêmes entreprendre les démarches administratives auprès des assurances. “Elles jouent sur les délais et font tout pour nous décourager afin qu’on accepte l’indemnisation proposée. Une indemnisation qui est évidemment très insuffisante. L’assurance va, pour la première fois depuis près de 3 ans, effectuer une expertise sur mon état de santé.” souligne Philippe.
Constat partagé par Patricia, rescapée de l’attaque de Maelbeek. Il lui a fallu enchaîner les contrôles de routine pour vérifier que son arrêt de travail était justifié. “Avant mes rendez-vous avec les assurances, j’allais systématiquement chez un autre médecin pour qu’il puisse établir un bilan de santé complet.” La Belgique pourrait-elle s’inspirer de son voisin ? Aucun consensus politique n’existe actuellement. Alors que le gouvernement belge est minoritaire et en affaires courantes jusqu’en mai minimum, Georges Dallemagne ne se fait pas d’illusion. “Je ne pense pas que de grandes avancées vont avoir lieu. Pourtant, c’est essentiel pour les victimes et pour notre société qui a été touchée, dans son ensemble, le 22 mars.”